[ÉTAT DES LIEUX]
ÉDUC’ POP’ CULTURE !
En quête d’éclaircies au coeur de la tempête qui s’abat sur la culture, Clutch s’intéresse ce mois-ci à la vieille mais toujours fringante éducation populaire. Pas épargnée par les difficultés financières, elle mise sur sa tradition d’autogestion pour retrouver des couleurs.
| Nicolas Mathé
Avec un sujet comme l’éducation populaire, impossible d’échapper à la case définition, même s’il n’en existe pas d’officielle. « Courant de pensée qui vise à promouvoir une éducation amenant une transformation sociale en dehors des institutions traditionnelles d’enseignement », « ensemble de méthodes plaçant les personnes au cœur de leurs apprentissages pour faciliter l’émancipation tout au long de la vie »… Voici ce que l’on trouve généralement sur le sujet. En clair, il peut y avoir de l’éducation populaire partout sans qu’on la nomme forcément ainsi. Heureusement, certains acteurs s’en revendiquent directement.
À Toulouse, il y a même un phare symbolique de l’éducation populaire : le bâtiment de l’ancienne usine Job, dont l’histoire autant que les activités qu’il abrite aujourd’hui en incarnent les valeurs. Le collectif Job, qui porte « un projet culturel et citoyen par et pour les habitants », est en effet l’héritier d’une longue lutte qui a lié les ouvriers de l’ancienne usine de papier et les habitants du quartier des Sept Deniers. D’abord contre l’arrêt progressif de l’activité dans les années 90, initié par le rachat et le démantèlement de l’usine par l’entreprise OCB (avec la famille Bolloré aux manettes). Puis, pour que le navire amiral du bâtiment, finalement vendu à des promoteurs immobiliers, soit non seulement conservé mais aussi mis à disposition des habitants. Grâce à un combat acharné, la mairie a finalement racheté le site en 2004 et l’Espace Job a vu le jour en 2011, en même temps que le collectif du même nom.
Plus de 10 ans plus tard, l’esprit des lieux perdure au sein du collectif qui regroupe une douzaine d’associations du quartier. « En misant sur la pratique culturelle amateur, en allant vers les habitants, on s’inscrit dans le champs de l’éducation populaire. Tous les ans, nous organisons également le Bal populaire et républicain ainsi que les Rencontres du papier et du livre, où des éditeurs et auteurs engagés viennent à la rencontre de gens éloignés de la lecture », détaille Clémence Granié, coordinatrice du collectif. Le temps de 12 éditions, l’univers Job a aussi accueilli Le vent se lève, festival militant, politique et citoyen qui mêlait concerts et outils phares de l’éducation populaire (théâtre-forum, conférences gesticulées, projections-débats…). « La motivation des bénévoles s’est essoufflée. L’organisation était très lourde mais les collectivités nous ont aussi lâché. On ne peut pas dire que l’éducation populaire soit très à la mode, ce n’est pas grand public », souligne Clémence Granié, avant de confier que c’est désormais au tour du collectif lui-même d’être en danger : « en novembre, la mairie a voté un gel de 40 % des subventions promises pour 2025. Même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un gel, cela nous met dans une situation catastrophique ».
ÉMANCIP’ACTION
Ce constat morose est un peu le même dans tout le secteur. Début janvier, les associations d’éducation populaire de la Haute-Garonne, dont les MJC, qui représentent 35 structures et 800 salariés, ont écrit une lettre ouverte aux collectivités qui les financent pour alerter sur les risques pesant sur l’emploi si les subventions continuent à se réduire. À la croisée des milieux culturels et éducatifs, l’association La Bénévolante est, elle aussi, forcément impactée par la situation, même si l’équipe continue de mener plusieurs projets de front.
Dont celui de départ qui consiste à intégrer des jeunes de 13 à 20 ans en difficulté sociale dans des équipes de bénévoles de festivals culturels. « Ce sont des éducateurs spécialisés travaillant dans des foyers gérés par l’Aide sociale à l’enfance qui ont créé l’association en 2013. Ils étaient par ailleurs bénévoles dans des festivals et ont eu l’idée de mêler ces deux horizons », raconte Hugo Trouilhet, coordinateur de l’association. Depuis, tous les ans de mars à octobre, une douzaine de manifestations telles que l’Été de Vaour, Xtreme Fest, Musicalarue ou Mima accueillent dans leurs staffs des jeunes accompagnés par des bénévoles de La Bénévolante. « Le taux d’encadrement est de un adulte pour deux jeunes, orientés soit par l’Aide sociale à l’enfance, soit par des assos des quartiers prioritaires de la ville. Nous ne leur imposons jamais un séjour, ils n’ont déjà pas beaucoup choisi dans leur vie », poursuit Hugo Trouilhet. En les intégrant au sein de collectifs déjà constitués, dans un environnement culturel, l’association espère développer chez les ados des valeurs chères à l’éducation populaire : autonomie, ouverture, esprit critique… Dans son fonctionnement interne aussi La Bénévolante privilégie l’horizontalité, avec un conseil d’administration collégial et une remise en question permanente. De quoi développer de nouveaux projets comme des par- cours dans des structures culturelles toulousaines ou le festival Hors Saison, inauguré en octobre 2024, pour lequel des jeunes s’occupent de toutes les étapes de l’organisation.
Autre acteur majeur de l’éduc’ pop’ à Toulouse, le collectif La Volte n’est pas directement concerné par les réductions budgétaires. Pour la bonne raison que celui-ci n’a pas d’existence officielle. « Les fondateurs ont fait le choix de ne pas de créer d’association mais de se constituer en tant que collectif informel, chaque intervenant ayant sa propre identité. Le tout autour de trois activités : l’accompagnement, les actions dans l’espace public, et les ateliers d’arpentage », éclaire Michael Guedj, membre de La Volte. Sollicité pour des questions de gouvernance ou de gestion de conflits, l’organisme pioche dans l’immense boîte à outil de l’éducation populaire les ingrédients pour favoriser l’autonomie des collectifs. « Le but est de faciliter l’expression. L’éducation populaire prône l’idée que chacun est porteur d’un savoir et qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les différents savoirs. Les ateliers d’arpentage consistent justement à s’approprier collectivement un ouvrage et ainsi désacraliser le livre », précise Michael Guedj. Sans cesse en train d’expérimenter de nouvelles formes d’actions, La Volte est intervenue auprès d’institutions de renom comme Cosmopolis, la coopérative à la tête des Halles de la Cartoucherie. D’autres associations, comme La Petite, à la pointe des luttes contemporaines, notamment féministes, se revendiquent aussi de l’éducation populaire. Preuve que le bon vieux courant de pensée s’avère toujours aussi pertinent et vivant. Pascal Castello, infatigable promoteur de l’éduc’ pop’ (voir ci-dessous) confirme. Si la discipline s’est institutionnalisée dans les années 80 selon lui, il observe aujourd’hui un renouveau : « le mythe du grand soir s’effrite un peu, les collectifs réalisent de plus en plus qu’il y a besoin d’un travail de fourmi ».
3 QUESTIONS À… PASCAL CASTELLO
Membre d’Arc en ciel théâtre
C’est quoi Arc en ciel théâtre ?
C’est un réseau associatif national qui utilise le théâtre-forum comme méthode d’intervention sociale et politique. Une manière de revenir au sens originel du théâtre, soit une assemblée qui cherche ensemble les voies de sa coexistence. Nous proposons depuis plus de 20 ans des ateliers et des formations pour toutes sortes de collectifs.
En quoi le théâtre forum est-il un outil d’éducation populaire ?
Il s’agit de créer les conditions pour qu’on se saisisse collectivement des questions qui nous concernent. Avec le théâtre-forum, nous proposons de passer par le jeu. Il n’y a pas besoin de compétence, nous ne sommes des experts en rien, sinon de notre méthode. On part d’un problème, d’une situation à changer, on se la montre à travers des scènes et les gens peuvent intervenir pour proposer une solution. On se met à la place et on comprend mieux le côté systémique des problèmes.
Quels types de collectifs font appel à vous ?
Des associations, des lycées, des facs mais aussi des entreprises, notamment dans le milieu medico-social, ce qui est un super moyen de bosser avec des non-gauchistes. Nous proposons aussi des banquets-forum ouverts au public. Parfois la dimension théâtre peut freiner les gens, nous n’imposons rien. D’ailleurs, nous n’arrivons jamais avec des objectifs définis.