La décennie prodigieuse :
un nouvel espoir
[PHOTO] Instituto Cervantès | jusqu’au 28 février | toulouse.cervantes.es
De 1975 à 1985, le photoreporter Benito Román a tiré le portrait d’une Espagne en pleine renaissance. La « Décennie prodigieuse » revient sur le processus de transition démocratique d’un pays tournant la page de la dictature. Une cinquantaine de photographies lumineuses d’espoir à découvrir à l’Institut Cervantès.
| Baptiste Ostré
Étrange, non ? Depuis quelque temps, à la rédac, certains d’entre nous évoquent l’option de s’exiler, si la situation l’exige, en Espagne. C’est vrai que, lorsque l’on suit un peu l’actualité nationale et internationale, le voisin espagnol apparaît vite comme un des derniers bastions d’une démocratie progressiste – par opposition aux reculs des libertés de plus en plus évidents dans le reste du monde.
Tandis qu’une majorité de pays européens cède, façon domino, à l’obscurantisme autoritaire, que le symbolique Chili élit (démocratiquement) un fils de nazi nostalgique de Pinochet, et que les grandes puissances jouent à qui aura la plus grande (autocratie), les nouvelles venues d’Espagne redonnent un peu d’oxygène. Hausse du salaire minimum, réduction du temps de travail, prises de positions fermes et sans ambiguïtés sur le génocide à Gaza, développement des énergies renouvelables, soutien à l’immigration… On en passe.
Le tableau, pour autant, est loin d’être aussi rose que les briques de Toulouse. Scandales et affaires de corruption pèsent sur le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez, pas encore assuré de parvenir au terme de son mandat, en 2027, dans un pays où les inégalités et les difficultés restent marquées, et où l’extrême-droite reste en embuscade.
Changement d’ère
Malgré cela, dans une ère de renoncement où les bonnes nouvelles se font rares, celles en provenance de l’autre côté des Pyrénées valent pour preuve que l’extrême droitisation politique peut être repoussée. Une source d’espoir qui rappelle, si besoin était, que l’Espagne a déjà eu maille à partir avec une longue dictature nationale-catholique, de 1936 à la mort de Franco, en 1975.
Un après la révolution des Œillets au Portugal, la péninsule ibérique entamait ainsi sa grande transition démocratique. C’est cette « décennie prodigieuse » qu’a documentée le photo-reporter Benito Román. Alors tout juste intégré à la prestigieuse agence Sipa, ce madrilène de naissance en profitait pour tirer le portrait d’une société expérimentant un changement radical de vie.
S’il s’appuie sur la promulgation de la Constitution, ce ne sont pas tant les grands événements politiques qui inspirent le photographe, mais bien davantage les petites choses du quotidien. Dans un noir & blanc jouant délibérément des contrastes entre ombre et lumière, ses images documentent les tensions entre l’héritage du passé et les promesses de progrès, entre tradition et modernité, austérité et festivité. C’est ce qui rend le travail de Benito Román si passionnant à découvrir, à l’Institut Cervantès, grâce au concours du festival Cinespaña et au programme Une Saison Photo de Toulouse Métropole.
Jamais figées, ses photographies semblent toujours en mouvement, ses sujets toujours vivants – on entendrait presque le bruit des conversations et les clameurs dans les rues. Ses cadrages volontiers espiègles témoignent d’une légèreté et d’une joie retrouvée, dans laquelle les craintes ne se sont pas encore totalement effacées. Comme si tout ceci n’était peut-être qu’un rêve. Mais un rêve plus vivace et animé que jamais. Hier, comme aujourd’hui. ![]()
Photo d’illustration, copyright Benito Roman