[ÉTAT DES LIEUX] AUDIOVISUEL, LES MUTATIONS DE L’ÉCRAN

[ÉTAT DES LIEUX]
AUDIOVISUEL,
LES MUTATIONS DE L’ÉCRAN

Nouveaux usages, streaming, Youtube… Ce bon vieux dinosaure de Clutch, resté à l’ère du papier, a tenté d’y voir plus clair dans les révolutions audiovisuelles à l’œuvre un peu partout.

| Nicolas Mathé

OTT. Trois petites lettres anodines pour qualifier une véritable révolution, certes pas tout à fait nouvelle, mais qui n’a pas fini de bouleverser les repères en matière d’audiovisuel. À l’heure de l’explosion du numérique et de la multiplication des écrans dans nos vies, impossible de passer à côté des contenus dits « Over the Top ». Ces services qui commercialisent leur offre directement auprès des clients sans disposer de leurs propres infrastructures de réseau (satellite, câble, téléphonie…), contrairement aux acteurs traditionnels du secteur. En moins de deux décennies, ces grands adeptes du contournement que sont Youtube ou Netflix ont chamboulé le paysage au point de faire émerger de nouveaux usages ainsi que de nouveaux métiers. Ainsi, en attendant que se concrétise (ou pas) la prophétie du gourou Jacques Attali selon laquelle, dans l’avenir, tout le monde aura sa chaîne Youtube, la profession de Youtubeur fait d’ores et déjà partie intégrante des débouchés proposés par les sites d’orientation destinés aux étudiants. Et sur les bancs des écoles audiovisuelles, les aventuriers de la « création de contenu » cotoient désormais allègrement les futurs Spielberg.

Pas aussi connu que ses collègues youtubeurs toulousains Tibo InShape ou Djilsi, Tony Miotto
est un bon exemple de ce nouvel eldorado. Avant d’intégrer son école dédiée aux métiers de l’image, le jeune homme se voyait bien réalisateur. Il y découvre finalement le motion design. « Youtube existait déjà depuis quelques années, il y avait de gros besoins en termes d’animation graphique, je me suis dit que ce serait plus simple. J’ai travaillé quelques années en indépendant et puis j’ai eu l’idée de réunir mon expérience professionnelle et mes passions pour l’ésotérisme et l’occultisme en lançant une chaîne Youtube. Je ne me suis jamais dit que je voulais en faire mon métier, mais j’avais quand même inconsciemment l’espoir d’y arriver », confie Tony Miotto. Avec son expérience dans le montage et les effets visuels, il crée Mysteria, une chaîne de décryptage des symboles cachés dans des lieux, des séries cultes, des films (Harry Potter) ou des contes, à laquelle il se consacre aujourd’hui à plein temps. En trois ans, sa chaîne conquiert plus de 280 000 abonnés. Une croissance « improbable », de son propre aveu, notamment due au carton d’une de ses premières vidéo sur le sens caché de la comptine Une souris verte, qui cumule à ce jour plus d’un million de vues. « Un succès à moitié assumé car je suis très critique sur mes anciennes vidéos, mais aussi très étonnant ; cela faisait un an qu’elle était sortie quand elle a explosé », explique le créateur de Mysteria qui n’a donc pas encore tout à fait percé ceux des algorithmes. Même si elles nécessitent de nombreuses compétences en terme de techniques d’image et de son, de documentation, d’écriture, de scénarisation, de réalisation, de montage… les recettes du succès sur Youtube restent bien impénétrables. Avec une moyenne de 50 000 vues par vidéo, Tony Miotto parvient malgré tout à vivre de sa chaîne.

THE REVOLUTION WILL BE STREAMED
Mais qu’il s’agisse d’en retirer des ressources économiques ou tout simplement d’exister, l’audiovisuel semble devenu incontournable dans n’importe quel domaine d’activité. Et si ce n’est pas sur Youtube, cela peut-être sur Twitch, à l’image du Neko Light Orchestra, collectif toulousain de musiciens et compositeurs spécialisés dans les musiques des cultures de l’imaginaire. Si son fondateur, Nicolas Chaccour, est depuis longtemps attiré par l’audiovisuel de par son penchant pour les musiques de films ou de jeux vidéo, c’est une pandémie mondiale qui lui a fait passer le cap. Un soir de confinement, le musicien pose son téléphone au-dessus de son piano à la va-vite et diffuse sur les réseaux un concert improvisé pour évacuer la frustration des spectacles annulés. « Suite à ça, l’ingé’ son du groupe a proposé de faire une vraie captation sur Twitch. On a ouvert un compte et, en juin 2020, on a joué en live un de nos spectacles autour de Miyazaki dans des supers conditions d’image et de son », raconte-t-il. Le résultat est à la hauteur avec plus de 40 000 connexions uniques durant la session. La Blue Neko TV est née et va se développer avec des émissions quotidiennes. Malgré la reprise des concerts, elle diffuse encore aujourd’hui environ 20h de contenu live par semaine autour des différents instruments (piano, violon- celle, guitare, basse…) mais aussi des coulisses du groupe. « La vidéo est aujourd’hui un outil au cœur de toutes nos activités. En plus de compléter l’expérience physique des concerts et de créer une vraie proximité, elle nous sert aussi dans le cadre de l’accompagnement d’artistes que nous faisons au Studio Nekopolis. Enfin, bien que notre modèle économique repose sur la vente de places de concerts,
la vidéo nous permet une vraie autonomie de communication », résume Thomas Armengaud, responsable vidéo du groupe.

Bien évidemment, du côté des instituts de formation, on suit de près toutes ces révolutions. Pour l’Ensav, institution toulousaine très orientée vers le cinéma, ce sont les plateformes de streaming qui changent la donne et nécessitent d’adapter les enseignements. « Il y a d’abord l’aspect technique lié à la diffusion de masse sur un canal qui entraîne une baisse de la palette disponible. Et d’un autre côté, toute la partie économique avec une modification des circuits de production en aval qui peut être vue comme une plus grande liberté », détaille Alexandre Beznosiuk, le directeur de l’établissement. Pour lui, pas question de crier au loup devant les grands méchants prédateurs : « les élèves consomment ces plateformes, ils ont déjà intégré les éléments esthétiques et techniques. Il faut juste conjuguer leur désir d’expression à la façon dont sera reçu leur travail, les laisser les plus libres possible de créer leur sillon tout en tenant compte de la réalité du secteur ». Pas d’inquiétude non plus quant à la triste augure d’une génération shootée à un contenu formaté dénigrant le cinéma : « Quand la télévision est arrivée, on a dit que c’était fini. Pareil quand le câble est arrivé puis le numérique. Les jeunes ont une telle énergie créatrice qu’ils arrivent à être dans la singularité indépendamment du contexte dans lequel ils évoluent. »

3 QUESTIONS À… GWEN VIBANCOS
Concept artist à Tat Production (Pattie & la colère de Poseidon, en salle depuis ce 25 janvier), Youtubeur…

Tu as commencé par le dessin, comment es-tu arrivé à l’audiovisuel ? ?
Je suis totalement autodidacte, j’ai appris à vraiment dessiner en partie grâce à Youtube qui est une mine d’information dans ce domaine. Dans ma tête, il n’y avait que la BD comme débouché et c’est aussi sur Youtube que j’ai découvert le concept art. J’ai réalisé qu’il y avait des besoins de dessins 2D dans plein d’industries. J’ai commencé à bosser dans le milieu de la musique en faisant des pochettes d’album puis dans le jeu vidéo, et depuis quelques années dans l’animation avec les Studios Tat.

C’est cette dimension pédagogique de Youtube qui t’a donné envie de te lancer ?
Complètement, j’ai créé ma chaîne pour marcher dans les pas de ceux qui m’ont inspiré. Il faut réaliser que j’ai pu suivre gratuitement des tutos de concept artists qui bossaient sur des projets énormes comme Star Wars. À mon petit niveau, j’ai moi aussi envie d’inspirer des gens et de montrer aux gamins qui dessinent et qui ont peur de se lancer que ce métier existe.

Comment conçois-tu ta chaîne ?
J’essaye d’être à la fois pointu sur la technique mais aussi très pédagogue avec un peu d’humour. J’ai fait pas mal de vues avec des vidéos basées sur les fondamentaux mais ça devient très difficile à ce niveau. Je m’éclate plus aujourd’hui sur Twitch où je retrouve de la spontanéité et de la liberté en plus de l’échange direct avec les gens. Et puis le fait de continuer à proposer des cours en live me force à me mettre à jour sur mes propres connaissances, on n’a jamais fini d’apprendre.