[ÉTAT DES LIEUX]
CULTURE À CARCASSONNE,
POURVU QUE ÇA DURE

Direction l’Aude pour notre traditionnel tour de la région au mois de juin. Dans l’ombre de l’imposant festival de Carcassonne, les acteurs culturels se battent pour agiter une cité difficile à dissocier du rayonnement international de ses remparts.

| Nicolas Mathé

Une ville moyenne française de moins de 50 000 habitants connue dans le monde entier pour sa cité médiévale resplendissante, parmi les mieux conservées. C’est ce qu’on pourrait appeler le paradoxe carcassonnais. Le même qui expliquerait qu’hormis son festival estival hors norme, la préfecture de l’Aude n’ait pas la réputation d’être particulièrement animée le reste de l’année. Pour prendre tout de même la mesure de la manifestation, qui dure plus d’un mois avec au passage plusieurs concerts télévisés, il suffit de lire les noms au programme cette année : Sting, Scorpions, Toto, IAM… Tous les ans, on se demande quelle légende viendra se produire dans le cadre époustouflant de la cité. Sachant qu’en 2023, un certain Bob Dylan était de la partie. Derrière cette vitrine, pas facile d’exister pour les acteurs culturels locaux. Pourtant, cela ne décourage pas certains de se lancer.


Le public a très rapidement répondu présent, ravi de pouvoir écouter des musiques exigeantes

LA BELLE AVENTURE

Parmi les derniers projets en date, la Friche artistique a vu le jour tout récemment, en avril dernier. Un lieu atypique imaginé par l’artiste plasticien Toile de Lu et sa complice Régine Diaz de Tista, destiné à rendre le cœur de ville de Carcassonne plus vivant. Cet espace de création regroupe un atelier et cinq salles d’exposition. Dans une démarche associative, les initiateurs de la Friche artistique ont prévu d’animer le lieu avec une riche programmation de concerts et de performances tout au long de l’année.

À l’extérieur des remparts, cette fois, le Croco Bleu est, lui, né en septembre 2022. Portée par l’association Carca Jazz, cette salle de 200 places organise des concerts une fois par semaine et connaît depuis son lancement un succès retentissant, preuve d’un réel besoin. « Avec un groupe d’amis, nous avons fait le constat qu’il manquait cruellement de lieux pour les musiciens à Carcassonne et en particulier pour le Jazz. Le public a très rapidement répondu présent, ravi de pouvoir écouter des musiques exigeantes avec des groupes aussi bien amateurs que professionnels. Tous nos concerts sont complets », se félicite Olivier Krug, saxophoniste et président de Carca Jazz. Profitant du vide entre Toulouse et Perpignan, le Croco Bleu a aussi très vite été identifié et sollicité par les tourneurs pour accueillir des pointures françaises, voire américaines. Des artistes comme Henri Texier, Christian Escoudé ou le flûtiste Magic Malik se sont par exemple déjà produits au Croco Bleu avec des premières parties toujours assurées par des groupes locaux. Propriétaire des locaux via une SCI, l’association tient à faire les choses dans l’ordre. Fonctionnant pour l’instant sous forme d’adhésion, elle préfère prendre le temps avant de passer en ERP (Établissement recevant du public) et éventuellement augmenter le rythme des concerts. Une prudence certainement dictée par le contexte local à propos duquel Olivier Krug ne mâche pas ses mots. « L’orientation culturelle à Carcassonne n’est basée que sur les touristes. La logique du festival de Carcassonne est de s’assurer de faire le plein avec des noms connus mais nous n’en voyons pas les bénéfices pour les habitants de la ville. Nous n’avons reçu aucune aide de la part de la mairie et c’est très bien comme ça car il y a ici une fâcheuse tendance à vouloir garder la main mise sur le secteur culturel », tranche t-il.


L’orientation culturelle à Carcassonne n’est basée que sur les touristes

EXCEPTIONS CULTURELLES

À Carcassonne, les principaux équipements culturels sont ainsi gérés par la mairie, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. C’est le cas du Théâtre Jean Alary, belle salle de 850 places située à l’emplacement d’un ancien couvent, qui propose une programmation variée mêlant tous les arts scéniques : théâtre, art lyrique, opéra comique, opérette, danse, variété, humour… Ainsi que du Chapeau rouge, salle de concert pour laquelle la municipalité a fait le choix de donner la priorité à des groupes locaux amateurs, avec un principe de résidence pour les accompagner et les aider à promouvoir leur travail artistique. Si le principe est louable, il faut tout de même imaginer que le Chapeau rouge ne fut pas loin de devenir une SMAC (label national de référence pour les scènes des musiques actuelles), en 2014, ce qui aurait donné la possibilité aux Carcassonnais de voir passer des groupes émergents ou confirmés de la scène des musiques actuelles. Franck Tanneau, directeur de l’association Onze Bouge, alors chargée de la gestion du Chapeau Rouge se souvient du sentiment que le stylo lui a été soufflé au moment de la signature du projet. « Tout était prêt pour le passage en SMAC, et dès le lendemain des élections, nous avons été dégagés par la nouvelle municipalité en place », se rappelle t-il.

Suite à ce retournement de situation, l’association qui fête ses 20 ans cette année, un temps à l’initiative du festival Chapiteuf, d’abord à Castelnaudary puis à Carcassonne, a alors décidé de redéployer son projet sur l’agglomération, dans les quartiers prioritaires de la ville ainsi qu’en milieu rural, avec une saison itinérante sur le territoire. Depuis, elle organise des concerts de musiques du monde dans les théâtres, médiathèques, centres sociaux ou lieux patrimoniaux et porte, en parallèle, un projet pédagogique mêlant arabe et occitan. « Notre fil rouge est la rencontre. C’est un projet politique et culturel qui consiste à répondre de manière détendue aux crispations identitaires », assure Franck Tanneau, loin d’être découragé par la situation. « Nous sommes peut-être l’un des seuls départements à ne toujours pas avoir de SMAC, il n’y a aucun local de répétition, donc très peu d’artistes locaux. Mais le public répond présent à nos événements. Il faut trouver des idées sans se plaindre. Nous sommes par exemple parmi les territoires les plus pauvres, l’offre doit être adaptée en fonction », poursuit le responsable associatif.

RAVE DANS LA CITÉ

Peu nombreuses, les structures carcassonnaises cultivent en revanche un bel esprit de solidarité. Un projet de tiers-lieu culturel est d’ailleurs en cours avec Onze Bouge et les instigateurs du Café associatif de Carcassonne. À ce réseau de militants ; il faut aussi ajouter Music’Al Sol, spécialisée dans la scène musicale alternative, et One One, consacrée aux cultures urbaines, deux associations implantées de longue date à Carcassonne mais qui œuvrent surtout en milieu rural, dans tout le département.

Sans oublier un autre infatigable activiste, pionnier du mouvement electro dans l’Aude, le Dj Janoz. Après avoir organisé ses premières raves, en partenariat avec la ville, dans les années 90, géré des établissements de nuit, puis été élu conseiller municipal délégué à la culture jusqu’en 2014, le musicien organise depuis 2017 le festival Dans ma Cité, rencontre audacieuse entre la musique contemporaine et un joyau patrimonial ancestral. La dernière édition s’est déroulée en mai dernier au cœur de la Cité, dans un lieu privé, avec des pointures internationales comme Kendal et Lisa Lea ainsi que la crème des dj locaux. Un gros succès malgré les difficultés liées à l’organisation d’un tel événement. « Ce n’est pas propre à Carcassonne mais l’electro subit encore et toujours les mêmes clichés. Il y a une tendance à fermer des espaces de libertés, le bruit est devenu un souci majeur, on se croirait revenu aux problématiques des années 90 », déplore Janoz. Pas de quoi l’empêcher de plancher sur une nouvelle édition en 2025, à l’image de ces acteurs qui font malgré tout bouger la ville. Comme dirait l’autre : c’est déjà beaucoup mieux que si c’était moins bien.