[ÉTAT DES LIEUX]
DANSE, LE PACK
TOULOUSAIN !
En matière de danse, la ville rayonne… discrètement. Toulouse attire des apprentis danseurs venus de loin et dissémine danseurs et chorégraphes partout en France et à l’étranger, sans en tirer gloire. Ce n’est pas une raison pour les oublier en ces temps difficiles.
| Valérie Lassus
Corinne Gaillard, directrice (2015-2024) du Centre de développement chorégraphique national (CDCN) rebaptisé La Place la Danse, se souvient de son arrivée à Toulouse : « On m’avait présenté la situation de façon plutôt négative. Du coup, j’ai été agréablement surprise, car il y a énormément de danseurs ici, beaucoup de compagnies, un grand dynamisme, un vrai potentiel ». C’est ainsi, Toulouse n’est pas estampillée « ville de danse » comme Montpellier, Lyon ou bien sûr Paris, mais elle en a toutes les qualités et même quelques stars, comme Pierre Rigal, Maguy Marin, toulousaine installée vers Lyon, Heddy Maalem… Il faut dire que la musique, notamment l’art lyrique, a fait la renommée de la Ville rose dans le domaine des arts et que la danse a grandi dans son giron. La naissance même du Ballet du Capitole est liée à celle du Théâtre (devenu Orchestre) du Capitole, au XIXe siècle. À l’époque, le ballet ne servait qu’à exécuter les parties dansées des opéras.
Mais depuis les années 1990, cette troupe a connu un bel essor, jusqu’à la reconnaissance internationale. Pour Rostan Chentouf qui a succédé à Corinne Gaillard en février dernier et dont le parcours est passé par Montpellier, « Montpellier Danse, festival renommé, est né en 1981 de la double volonté d’un homme politique fort, Georges Frêche, [maire de la ville de 1977 à 2004], et d’un danseur et chorégraphe, Dominique Bagouet. La communication sur cet événement a été portée fortement par la ville et mise en avant par rapport à d’autres projets artistiques. Le revers de la médaille, c’est une certaine hégémonie de Montpellier danse. Rien de tel à Toulouse, mais des partenariats qui me semblent plus ouverts (…) ». Il ajoute : « factuellement, Toulouse est indéniablement une ville de danse. Clairement, elle favorise l’émergence des artistes. Il ne faut pas oublier le rôle de la capitale occitane dans la création du réseau des CDCN : le premier Centre de développement chorégraphique a été voulu à Toulouse, il y a 15 ans. »
ESSAIS TRANSFORMÉS
Cette émergence d’artistes doit beaucoup aux formations nombreuses et de bon niveau. Marion Muzac, qui dirige depuis deux ans le département danse de l’isdaT (institut supérieur des arts et du design de Toulouse) explique : « Il existe ici des formations initiales privées et publiques de qualité, à commencer par le Conservatoire de musique et danse à rayonnement régional qui héberge le département danse de l’isdaT. Il est donc possible de suivre un cursus depuis l’initiation, très jeune, jusqu’à la professionnalisation avec l’isdaT, pour le diplôme d’État qui permet d’enseigner la danse, et la formation Extensions de La Place de la Danse, plutôt pour les interprètes. En plus, les élèves baignent ici dans un bain culturel riche ». En effet, avec le Ballet du Capitole, la Place de la Danse, les salles de spectacles faisant toutes peu ou prou une place à la danse, la Biennale et les festivals de danse en tant que tels : Ici&Là, Danses et Continents noirs, Ravensare, NeufNeuf, Bloom, il y a de quoi se nourrir.
« J’ai à cœur de faire sentir le pont entre l’histoire de la danse et aujourd’hui, explique Marion Muzac à propos du contenu des enseignements, en classique, jazz et contemporain. C’est aussi pour cela que je suis heureuse d’être moi-même danseuse et chorégraphe au sein de ma propre compagnie*, ça me permet de comprendre l’insertion des jeunes diplômés qui ne vont pas tous vers l’enseignement (…). Les apprentissages ont évolué, on a une jeunesse autodidacte qui est plus ouverte à la création et qui s’implique plus dans l’écriture. C’est le cas avec l’arrivée dans les cursus des danses urbaines. L’an dernier, il y a eu dans notre établissement une formation voguing par exemple. On fait venir des intervenants extérieurs, comme Brandon Miel, chorégraphe electro freestyle de Mazelfreten… Quand ils enseigneront, tous ces styles, ces formes différentes d’écriture corporelle serviront aux jeunes profs pour nourrir leurs cours, et cela doit passer par le corps, parce que c’est notre outil de travail.» Ainsi, les élèves ont travaillé en septembre avec Sylvain Huc, artiste associé à l’Escale à Tournefeuille, sur In between, une performance imaginée pour les étudiants de 2e année. Il se trouve que Huc s’est formé à Extensions, comme d’autres. Rostan Chentouf cite « Soa Ratsifandrihina, programmée au festival Ici&Là cette année avec Fampitaha, fampita, fampitàna. Elle a commencé au conservatoire de Toulouse, a enchaîné avec le Conservatoire supérieur de Paris, puis a intégré la fameuse école d’Anne Teresa de Keersmaeker, P.A.R.T.S, pour finalement installer sa propre compagnie à Toulouse l’an dernier ».
LA CULTURE DANS LA MÊLÉE
Marion Muzac peut avancer des résultats très positifs pour l’isdaT, notamment un taux d’insertion de près de 100 %, même si toutes les situations ne sont pas idéales. Ce n’est pas l’élue à la culture Nicole Yardeni qui la contredira : elle est présidente du conseil d’administration de l’isdaT. La mairie, très impliquée, finance également une bonne partie du conservatoire, du ballet du Capitole et une partie de La Place de la Danse, pour ne parler que des grosses structures. En revanche, l’élue ne dit pas un mot de la situation délicate de l’isdaT précisément, qui tangue depuis 2023. Un grave déficit avait jeté le discrédit sur le directeur général, Jérôme Delormas, contraint de partir avant la fin de son mandat. Pour rappel, l’école des Beaux-arts est devenue en 2011 un « établissement public de coopération culturelle », l’isdaT, en incorporant le Centre d’études supérieures de musique et de danse. Fusion imposée par le gouvernement et impactant les ressources des trois entités.
Pour autant, une scission signifierait pour les arts visuels comme pour la danse et la musique de trouver d’autres partenaires. Difficile dans un contexte de crise budgétaire nationale. Le monde de la culture a en effet appris en novembre dernier la décision de la mairie et Toulouse Métropole de réduire les subventions aux associations de 40 %. Conséquence, en partie seulement, du déficit vertigineux des finances publiques du pays et de l’exigence de Bercy faite aux collectivités locales de serrer sérieusement la ceinture. Le tube 2020-21, sur la culture « non-essentielle » revient dans les charts… Nicole Yardeni confirme que, pour les enseignements danse et musique, des efforts vont être demandés après consultations, « par exemple sur des réductions de certains personnels et sur l’opportunité de faire venir des intervenants de loin ». Diminutions de subventions drastiques et générales mais investissements dans l’immobilier maintenus puisqu’il semblerait que notre arlésienne préférée remonte en scène. En effet, le concours d’architecte pour la future Cité de la danse a été lancé en 2024, pour un début des travaux à la Reynerie fin 2025-début 2026.
Pour rappel, l’idée vient d’Annie Bozzini, première directrice du premier CDC… dans les années 2000. Il fut question que ce lieu se fasse à la Grave, puis il disparut, et réapparut à l’ancienne prison Saint-Michel. Une cité qui a la bougeotte, à suivre donc… « On est un peu en sursis avec ce budget en suspens, avoue Rostan Chentouf, nous allons peut-être, nous, grosses structures, être préservées, mais une chose est sûre, si nos lieux partenaires, les compagnies de danse, le système d’intermittence sont touchés sévèrement, il y aura un impact pour nous, car notre existence est justifiée par celle de nos partenaires. Cela va affaiblir le rayon d’action des CDCN mais aussi des conservatoires, des formations professionnalisantes, etc… Mais il reste quelque chose de positif, c’est que même si le contexte est difficile, les désirs de faire sont là ».