[ÉTAT DES LIEUX]
La montagne
se déplace en été

Sommée de se réinventer face au dérèglement climatique qui remet en question sa dépendance aux sports d’hiver, la montagne cherche dans la belle saison les éléments d’un avenir plus pérenne. En s’appuyant notamment sur la culture.

| Nicolas Mathé

Symbole de grands espaces en pleine nature, loin du tourisme de masse, moins chère que le littoral en pleine période d’inflation, la montagne est une destination de plus en plus tendance en été… Voilà pour la présentation du sujet en mode JT de 13h. Indéniable, l’engouement pour l’altitude constaté depuis plusieurs années a été renforcé par la pandémie de Covid-19. Il n’en reste pas moins que si elle progresse, cette fréquentation estivale ne pèse pas lourd dans la balance économique face à la saison hivernale. À tel point que, lorsque ladite pandémie a entraîné la fermeture des stations de ski (euh non, des remontées mécaniques), ce fut le branle-bas de combat général. Un plan Avenir Montagne doté de 300 millions d’euros a été lancé par le gouvernement et le sujet devenait soudainement urgent alors qu’une crise bien plus profonde, celle du dérèglement climatique, soulevait depuis longtemps déjà la question de la pérennité de cet écosystème.

La réalité, au delà de la carte postale, c’est en effet que, depuis 1983 la moitié des glaciers des Pyrénées a disparu. Et qu’à l’horizon 2050, les projections indiquent une réduction de l’épaisseur moyenne d’enneigement de 10 à 40 % en moyenne montagne, qui pourrait atteindre 80 à 90 % d’ici 2100. Pour autant dans le plan gouvernemental autant que dans les discours des collectivités locales concernées, hors de question de stopper les investissements dans les stations de ski. Dans ces zones où le tourisme est la seule activité importante depuis la disparition de l’industrie qui, jadis, portait la vie économique de la montagne, la dépendance à la poudre blanche est trop forte pour envisager de s’en passer un jour. L’heure est donc plutôt à la diversification et au fameux tourisme 4 saisons. Le plan Avenir Montagne entend ainsi accompagner près de 60 territoires qui « désirent baser leur stratégie de développement sur une offre touristique diversifiée, durable, respectueuse de la biodiversité et des paysages et qui consomme peu de ressources naturelles et foncières ». Thermoludisme, bien être, VTT de descente, luge 4 saisons… Les initiatives fleurissent partout en altitude pour essayer d’étirer au maximum l’activité sur l’année.


Dans ces zones où le tourisme est la seule activité important, la dépendance à la poudre blanche est trop forte pour envisager de s’en passer un jour

CULTURE EN ALTITUDE

Mais, pour de nombreux acteurs, cette vision productiviste d’une montagne qui ne ferait jamais relâche est non seulement peu souhaitable, mais aussi quasiment impossible à mettre en place. Les réponses sont donc à trouver localement, au plus près des spécificités locales. En Occitanie, où 20 % de la population vit dans des zones de massif, la Région avait, elle, dégainé son plan « Montagne d’Occitanie 2025, Terres de vie » dès 2018. Il s’agissait certes de conforter l’attractivité touristique mais aussi de favoriser ce qui fait la bonne santé d’un territoire comme la construction de logements communaux, de centres de santé, le renforcement de la mobilité…

C’est dans ce cadre qu’a été accompagné le tiers lieu éco-créatif La Soulane, à Jézeau, dans la vallée d’Aure. Installé dans un ancien centre de vacances à 800 mètres d’altitude, ce lieu protéiforme et innovant se veut justement le moteur d’une autre forme de développement de la vallée basée sur la création et la relocalisation d’activités et d’emplois, au delà du seul tourisme. « Nous envisageons cet espace au service de l’économie locale et nous positionnons comme un pôle d’expérimentation social », expliquent les initiateurs du projet qui a vu concrètement le jour en 2019. La Soulane (soit le versant ensoleillé d’une montagne dans les Pyrénées) impulse et héberge toutes sortes d’activités à impact positif que ce soit dans le domaine du sport, de l’environnement, avec notamment un projet de valorisation de l’agriculture locale, et même des nouvelles technologies. La structure propose également des hébergements aux travailleurs saisonniers comme aux résidents à l’année, et abrite un fablab dédié au textile ainsi que différents espaces de travail.

Mais ce qui fait de ce tiers lieu un endroit à part, c’est que la culture y joue un rôle primordial depuis
le début. En plus du studio d’enregistrement qui a déjà vu passer de nombreux groupes dont le power duo stoner occitan Courtial X Kogane (qui a même tourné un clip sur place), un collectif d’artistes assure en effet une programmation culturelle fournie ainsi que l’organisation de résidences dans de multiples disciplines (musique, danse, théâtre, marionnettes, cirque, graphisme, arts plastiques et corporels…). S’ajoutent à cela un café restaurant associatif proposant des soirées festives toute l’année, et peut-être, bientôt, une galerie d’art.

Dans le sillage d’événements historiques qui ont participé à révéler les vertus de la montagne, comme
le Festival de Gavarnie ou Jazz à Luz (qui développe, en plus du festival, toute une saison itinérante dans la Vallée du pays de Toy), une nouvelle génération s’empare de la culture. Comme un levier, forcément indispensable, dès lors qu’il s’agit de faire vivre pleinement ces territoires montagnards. À quelques kilomètres de La Soulane, dans la vallée voisine du Louron, perché à 1300 mètres dans le village de Germ, le Centre de montagne Chez Lily, du nom de l’ancienne propriétaire de ce corps de granges, est un autre endroit pour le moins atypique. Outre un bar à tapas artistique et culturel, l’association Accueil sans frontière, qui gère le lieu, a créé trois espaces de travail, de recherche et de création disposant d’équipements de pointe, notamment en matière de prise de son. Ainsi, c’est au dessus de ce joyeux café qui fait vibrer la vallée de ces soirées festives que le trio Eric Lareine, Nicolas Jules, Pascal Maupeu a en partie donné naissance au spectacle September Cohen, vu récemment à la Cave Po’ à Toulouse.

LA MONTAGNE COMME REFUGE

Comme une avalanche, le désir de culture s’est propagé à d’autres acteurs incontournables de cette même vallée, très actifs à l’arrivée des beaux jours. Il y a désormais quatre ans, des professionnels du vol libre (parapente, deltaplane…) ont eux aussi décidé de mettre la main à la pâte un créant un festival hybride. Rassemblement de sportifs de haut niveau et d’amateurs passionnés, le Plaf (Pyrénées Louron Air Festival) propose aussi de belles programmations de spectacles et de concerts avec des artistes régionaux. « Nous souhaitons mettre en place une dynamique culturelle et sociale qui crée du lien entre tous. Le festival a pour vocation de valoriser le patrimoine matériel et immatériel de la montagne à travers la sensibilisation du public », avance Adrien Decerf, président de l’association organisatrice qui a été contrainte d’annuler l’édition 2023, prévue en mai dernier, en raison des conditions météorologiques.

Vivante mais fragile, la montagne pourrait paradoxalement bénéficier du changement climatique, de par la différence accrue de température par rapport aux zones urbaines en été. En tout cas, dans un contexte de mutations du travail et de quête de sens, c’est dans cette altérité vis-à-vis de la ville que la montagne doit se distinguer selon Philippe Bourdeau, professeur à l’Institut de géographie alpine de l’université Grenoble Alpes. « Les territoires de montagne ne sont-ils pas propices à l’expérimentation en fournissant non seulement de l’espace, mais aussi des marges de manœuvre et des échappatoires à la routine et à l’impasse des modèles urbains ? » interroge le maître de conférence. Dessinant au passage un avenir désirable dans lequel on pourrait enfin dire de manière positive, au moins en montagne, qu’il n’y a vraiment plus de saison.