[ÉTAT DES LIEUX]
LE PAYSAGE RADIOPHONIQUE
À TOULOUSE : DES MICROS
ET DES ONDES

C’est le média préféré des Français… et donc des Toulousains (cqfd approximatif). Pour parler du paysage radiophonique local, Clutch a décidé de vous raconter la folle histoire des ondes toulousaines.

| Nicolas Mathé

Fermer le clapet insupportable de Léa Salamé en zappant sur Campus pour au moins être sûr d’écouter du bon son. Tomber sur Sud Radio, se dire « ah d’accord c’est ça maintenant Sud Radio » et vite déguerpir. Rager sur une défaite à la dernière minute du TFC commentée par France Bleu Occitanie. S’exercer à l’occitan avec le magnifique jingle « Radio Occitania, l’emocion del pais ». Autant d’expériences que l’on peut vivre à Toulouse en voyageant de fréquences en fréquences. Et de noms de stations croisées au cours de ce périple, toutes issues d’une riche histoire impossible à éviter lorsque l’on entend dresser le portrait du paysage radiophonique local. Alors autant commencer par le tout début.

La première fois que les Toulousains ont pu entendre la radio, c’était le 31 décembre 1921. Les militaires ayant à l’époque le monopole des transmissions, le signal venu de Paris fut repris depuis la caserne Pérignon. Et pour l’anecdote, il s’agissait d’un concert donné à la Tour Eiffel. Mais la véritable saga des stations locales débute, elle, quatre ans plus tard avec le lancement de la première radio toulousaine qui deviendra mythique, Radio Toulouse. Fondée par Léon Kierzkowski, qui tenait un magasin de TSF et le journaliste Jacques Trémoulet, la radio qui mise sur la détente des auditeurs devient très vite populaire et s’impose comme l’une des plus des plus importantes du pays. À force de rachats de stations en France et à l’étranger, Jacques Trémoulet va même constituer un véritable empire, le plus gros groupe radiophonique d’avant-guerre.


PodCloud est un pied de nez aux radios qui ont inondé les plateformes avec leurs replay. On s’adresse aux passionnés qui créent seuls dans leur coin

BANDES À PART

Le décor est posé. Mais déjà, l’affrontement public-privé qui va durablement marquer l’histoire de la radio, fait rage aussi à Toulouse. Dès 1926, l’État tente de concurrencer Radio Toulouse en créant Toulouse – Pyrénées, l’ancêtre des radios du service public dans la Ville rose. Bien moins populaire, cette dernière va toutefois bénéficier de l’interdiction des radios privées en 1945 pour étendre sa zone de diffusion au grand sud. Avant d’être rattachée à FR3 Midi-Pyrénées en 1973, puis à Radio France qui récupère également dans son giron la seconde radio publique locale France Inter Toulouse (FIT), née entre temps. Côté privé, c’est Sud Radio qui a fait son apparition dans le paysage de manière détournée, émettant depuis l’Andorre pour contourner la législation. Résultat, quand arrive le tournant majeur de la fin du monopole d’État sur la bande FM, en 1981, Toulouse est une des seules villes françaises à posséder une radio publique et une radio privée puissante et structurée depuis plus de 20 ans.

Avec la libéralisation des ondes, une troisième famille d’acteurs rentre alors dans le jeu, les radios libres, précédées par quelques radios pirates qui n’avaient pas attendu d’avoir le droit d’émettre, dont la subversive Radio Barbe Rouge, devenue Canal Sud ou Radio Galaxie, toujours en activité aujourd’hui.

Radio Mon Païs, lancée par la CGT, Radio Occitania, Campus ou encore la très rock FMR débarquent à l’antenne et rebattent les cartes. Très écoutées, ces structures associatives, originales et dynamiques forcent ainsi le service public à se réorganiser à de multiples reprises. En vain puisqu’en 1997, Radio France souhaite mettre fin à la radio régionale.

Pour ménager les syndicats et recaser le personnel, le groupe décide toutefois de lancer, depuis Toulouse, une nouvelle radio nationale dédiée aux jeunes, Le Mouv’. S’ensuivent 15 ans de silence avant que ne voie le jour une nouvelle radio publique locale avec France Bleu Toulouse en 2011 (aujourd’hui France Bleu Occitanie), tandis que le Mouv’ déménage à Paris. Au rayon commercial, la place laissée vacante par Sud Radio, qui adopte un format national en 2000 avant de définitivement quitter Toulouse en 2017 est prise depuis 2008 par Toulouse FM, rejointe depuis par 100%.

LA RUÉE VERS LE PODCAST

À ce paysage sonore dense, il faut désormais ajouter le monde du podcast, phénomène de société ininterrompu depuis plusieurs décennies qui à Toulouse, a aussi ses propres particularités. Si toutes les radios se sont forcément mises sur le créneau, la discipline compte à Toulouse de véritables aficionados de la première heure qui se sont notamment regroupés sous la bannière de l’association PodShows, dont est issue la plateforme podCloud, sorte de Spotify toulousain du podcast. « L’idée de base était de faire un pied de nez aux radios qui ont très vite inondé les plateformes mainstream avec leurs replay et aux journalistes parisiens qui ont donné l’impression d’inventer le podcast alors que des gens faisaient ça en indépendant depuis 10 ans déjà. Notre volonté était de s’adresser à tous les passionnés qui créent tous seuls dans leur coin », raconte Giovanni Olivera, lui-même podcasteur depuis l’âge de 15 ans et PDG de podCloud, société à part entière désormais séparée de l’association.

À la fois plateforme d’écoute et d’hébergement, podCloud propose aux créateurs des solutions techniques simples pour se lancer. Avec près de 6 000 podcasts hébergés et environ 500 000 visiteurs par mois, l’initiative toulousaine est une référence en France. Pour continuer à fédérer la scène locale, Giovanni Olivera anime les rencontres podToulouse, « Tous les mois, on propose aux créateurs ou aux simples curieux de se retrouver au bar Level Up pour un apéro convivial. Beaucoup viennent pour avoir des conseils pour démarrer un podcast. Certains espèrent pouvoir en vivre mais c’est très difficile. Pour la grande majorité, il s’agit de partager une passion », explique-t-il. Malgré un marché dominé aux trois-quart par Spotify, l’esprit de liberté des aventuriers de la radio se perpétue dans l’univers du podcast. Le micro et les ondes ne sont pas près d’arrêter de fasciner.

ARTOPIE, LE PODCAST QUI LIE ART ET ÉCOLOGIE

Tout juste lancé par la Toulousaine Lisa Marchetti, le programme sonore ARTOPIE, diffusé sur Campus FM, donne la parole à des artistes de la région impliqués dans la transition écologique. Comme l’auteur et éditeur de jeux de société Jérôme Barthas ou la plasticienne Claire Sauvaget lors des premiers épisodes, chaque mois les invités livrent leurs récits sensibles du futur dans une ambiance sonore soignée. L’initiatrice du projet effectue en parallèle un travail de veille sur le lien entre art et écologie sur le compte Instagram du podcast. | podcastartopie

3 QUESTIONS À… BRUNO TORRENTE
Porte parole du Collectif des radios libres d’Occitanie

Qu’est-ce que le CRLO ?
Il a été créé en 2018 par 8 radios fondatrices et regroupe aujourd’hui une trentaine de membres dont 17 radios de catégorie A, qui correspond aux structures associatives. D’emblée, nous avons opté pour un fonctionnement horizontal avec une gouvernance partagée basée sur des valeurs communes, humanistes et citoyennes. L’objectif est de mutualiser nos forces, nous organisons des formations sur des thèmes spécifiques et produisons aussi des podcasts.

Comment fonctionnent les radios libres ?
Il y a une grande disparité : certaines sont des grosses machines avec huit salariés et d’autres ne reposent que sur du bénévolat. Mais il faut sortir de l’idée que les radios associatives vivent des subventions. Il y a une base de départ qui est le Fonds de soutien à l’expression radiophonique, et ensuite c’est à chacun de trouver des partenaires. Pour les subventions, c’est très aléatoire. Il y a des villes comme Montpellier qui aident beaucoup et d’autres comme Toulouse qui s’en fichent royalement, ce qui est au passage un véritable scandale.

En quoi sont elles indispensables ?
Nous sommes d’abord des acteurs de proximité avec un vrai regard sur la vie de la cité. Nous allons là où les radios commerciales ne vont pas et donnons la parole à ceux qui ne l’ont pas. Dans un paysage où l’on entend toujours les mêmes morceaux sur les grandes ondes, et où des informations complexes sont traitées en une minute, nous sommes une alternative précieuse. Enfin, nos portes sont toujours ouvertes pour apprendre le métier. La diversité, elle est chez nous.