[Rencontre] Librairie La renaissance | jeu. 6 mars | 18h30 | librairie-renaissance.fr

Ils se confrontent à leurs origines sociales, mais aussi familiales. La famille nous standardise-t-elle ?
Question complexe ! C’est certain que la famille est notre première micro-société, avec ses normes intériorisées. Bien souvent d’ailleurs, elle fonctionne comme un reflet de la hiérarchie de la société. Mais, derrière les similarités apparentes, on trouve aussi dans chaque famille des individus porteurs d’une forme de différence. Ce qui m’intéresse, c’est comment on peut décider de tracer son chemin indépendamment de ces cellules. Dans L’École est finie, plus particulièrement, je voulais explorer ce que ça signifie de se sentir différent quand on est un enfant.

Al est ton plus jeune personnage, c’est aussi le plus frontalement rebelle…
Oui, on en revient à ces questions de structures autoritaires auxquelles on se confronte. Al est à l’âge du refus, il refuse de se conformer aux attentes des adultes et des enseignants. Mais il ne fait pas que s’opposer : il est dans une fuite créatrice, il se crée un autre monde, une autre cellule, amicale cette fois. Des trois romans, c’est le personnage dans lequel je me retrouve le plus. Tout est parti d’un texte écrit à huit ans, sur lequel je suis retombée et qui est devenue ma “bible”. Écrire sur l’enfance est vertigineux : on l’a tous vécue, mais elle est tellement loin de nous. J’avais peur de tomber dans une forme de recul, donc de trahison. Parce que c’est un “moi” lointain désormais, je suis bien trop vieille pour écrire comme une enfant (rires). J’ai donc beaucoup travaillé pour retrouver cette voix intérieure. 

En parlant de voix, c’est la première fois que tu écris à la première personne.
Retrouver ce lien instinctif, primitif presque, avec l’écriture de l’enfance m’a beaucoup nourrie. Je voulais être au plus près de ses pensées, qu’on soit constamment dans la tête de ce personnage, qu’on ressente ce qu’il pense, ce qu’il produit. Ça m’a apporté une liberté nouvelle, comme si je restituais une voix plus que d’écrire un roman. J’aime bien quand le personnage prend le pouvoir sur l’histoire, et Al avait besoin qu’on le laisse s’exprimer.

Comme dans Bénie soit Sixtine ou La Grande Ourse, tu confrontes aussi son histoire à la grande Histoire et à l’actualité. Après la Manif pour Tous et l’intégrisme religieux, la condition des agriculteurs et la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, L’Ecole est finie va encore plus loin : de l’Occupation au génocide au Rwanda en passant par le colonialisme…
Oui, je voulais explorer comment l’Histoire façonne nos petites histoires, nos mythologies familiales. On grandit avec des récits qui influencent notre vision du monde, nous sommes héritiers de tous ces récits que l’on nous transmet. Cela m’intéressait de mettre à nu ces mythes familiaux à hauteur d’enfant. Al va les interroger jusqu’à les dépouiller, les déconstruire pour mieux créer sa propre histoire. Quand ces récits s’effondrent, c’est aussi une forme d’innocence et une certaine perception des adultes qui tombent.