L’ÉCOLE EST FINIE : la lutte des classes
[Rencontre] Librairie La renaissance | jeu. 6 mars | 18h30 | librairie-renaissance.fr
Entre révolte, déconstruction du mythe familial et éducation alternative, L’École est finie (Editions Stock) suit la quête de liberté d’un enfant des Pyrénées-Orientales. Après le succès de Bénie soit Sixtine et La Grande Ourse, Maylis Adhémar poursuit son exploration de l’émancipation dans un troisième roman porté par une percutante narration à la première personne.
Version longue de l’entretien paru dans Clutch#128 (mars 2025)
| Propos recueillis par Baptiste Ostré – Photo : Astrid Di Crollalanza
Ce troisième roman se connecte aux deux précédents. Comme dans Bénie Soit Sixtine ou La Grande Ourse, L’École est finie raconte l’histoire d’un personnage luttant pour son émancipation…
C’est vrai qu’il y a un fil rouge, une volonté en commun de tracer sa route entre les trois livres. Ce sont des personnages en quête de leur propre voie, qui cherchent à se connecter à leurs aspirations profondes, en rupture avec leurs milieux.
Ils se confrontent à leurs origines sociales, mais aussi familiales. La famille nous standardise-t-elle ?
Question complexe ! C’est certain que la famille est notre première micro-société, avec ses normes intériorisées. Bien souvent d’ailleurs, elle fonctionne comme un reflet de la hiérarchie de la société. Mais, derrière les similarités apparentes, on trouve aussi dans chaque famille des individus porteurs d’une forme de différence. Ce qui m’intéresse, c’est comment on peut décider de tracer son chemin indépendamment de ces cellules. Dans L’École est finie, plus particulièrement, je voulais explorer ce que ça signifie de se sentir différent quand on est un enfant.
Al est ton plus jeune personnage, c’est aussi le plus frontalement rebelle…
Oui, on en revient à ces questions de structures autoritaires auxquelles on se confronte. Al est à l’âge du refus, il refuse de se conformer aux attentes des adultes et des enseignants. Mais il ne fait pas que s’opposer : il est dans une fuite créatrice, il se crée un autre monde, une autre cellule, amicale cette fois. Des trois romans, c’est le personnage dans lequel je me retrouve le plus. Tout est parti d’un texte écrit à huit ans, sur lequel je suis retombée et qui est devenue ma “bible”. Écrire sur l’enfance est vertigineux : on l’a tous vécue, mais elle est tellement loin de nous. J’avais peur de tomber dans une forme de recul, donc de trahison. Parce que c’est un “moi” lointain désormais, je suis bien trop vieille pour écrire comme une enfant (rires). J’ai donc beaucoup travaillé pour retrouver cette voix intérieure.

En parlant de voix, c’est la première fois que tu écris à la première personne.
Retrouver ce lien instinctif, primitif presque, avec l’écriture de l’enfance m’a beaucoup nourrie. Je voulais être au plus près de ses pensées, qu’on soit constamment dans la tête de ce personnage, qu’on ressente ce qu’il pense, ce qu’il produit. Ça m’a apporté une liberté nouvelle, comme si je restituais une voix plus que d’écrire un roman. J’aime bien quand le personnage prend le pouvoir sur l’histoire, et Al avait besoin qu’on le laisse s’exprimer.
Comme dans Bénie soit Sixtine ou La Grande Ourse, tu confrontes aussi son histoire à la grande Histoire et à l’actualité. Après la Manif pour Tous et l’intégrisme religieux, la condition des agriculteurs et la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, L’Ecole est finie va encore plus loin : de l’Occupation au génocide au Rwanda en passant par le colonialisme…
Oui, je voulais explorer comment l’Histoire façonne nos petites histoires, nos mythologies familiales. On grandit avec des récits qui influencent notre vision du monde, nous sommes héritiers de tous ces récits que l’on nous transmet. Cela m’intéressait de mettre à nu ces mythes familiaux à hauteur d’enfant. Al va les interroger jusqu’à les dépouiller, les déconstruire pour mieux créer sa propre histoire. Quand ces récits s’effondrent, c’est aussi une forme d’innocence et une certaine perception des adultes qui tombent.
Tes personnages sont souvent partagés entre plusieurs lieux. Sixtine se déroulait entre Nantes-Villefranche de Rouergue, La Grande Ourse reliait Toulouse et les Pyrénées du Couserans et, maintenant, les Pyrénées-Orientales et Châteauroux…
(Rires) Je ne l’avais pas remarqué ! Mais les lieux nous modèlent. Les Pyrénées-Orientales étaient un décor idéal pour L’École est finie. Ce sont des paysages amples dont la richesse et la lumière font remonter aux paysages rêvés de l’enfance. Lorsque Al se retrouve à Châteauroux, il vit une rupture avec son environnement, il ressent ce départ comme un véritable exil. C’est toujours intéressant de faire bouger ses personnages et de voyager avec eux. Changer d’endroit les amène à évoluer.
Tu mets en parallèle deux conceptions de l’éducation, avec la figure de Célestin Freinet, moins connu que Montessori…
J’ai découvert Freinet en animant des ateliers de “journal école” dans des établissements scolaire. Grâce aux articles de l’institut Freinet, je me suis documentée sur ses méthodes à la fois novatrices, reconnues… et pointées du doigt. La pédagogie Freinet est aujourd’hui étudiée dans les écoles d’Instit’, mais l’éducation nationale n’en a retenu que de petits bouts. En travaillant sur Al, je suis tombée sur une affaire qui avait marqué Freinet lorsqu’il était instituteur, en 1933. Dans ces années pré-Seconde Guerre Mondiale, les tensions et les clivages s’exacerbaient au moindre sujet, ce qui résonne avec l’époque que l’on traverse. Cela a créé un effet miroir, j’y ai vu la possibilité d’une articulation entre les deux histoires. Célestin Freinet se prêtait aussi à une écriture romanesque, c’était un homme en avance sur son époque et, en même temps, d’une grande humilité. Sans tomber dans un réquisitoire anti-scolarité, cela me permettait aussi de montrer que l’éducation peut s’envisager différemment que ce que l’on nous montre.