ORIGINES CONTRÔLÉES : 20 ans d’égards
[FESTIVAL] Salle Ernest Renan, Utopia Borderouge, Metronum | du 20 oct. au 21 déc. | tactikollectif.org
Depuis 20 ans, Origines Contrôlées est une mise en forme particulièrement séduisante d’un profond et important discours sur l’histoire de l’immigration. Salah Amokrane, coordinateur du Tactikollectif revient sur ce travail de l’ombre et de fond.
| Propos recueillis par Nicolas Mathé – Photo : Steph Tripot
Dans l’histoire du TactiKollectif, il y a eu d’autres festivals comme Ça bouge au Nord et Ça bouge encore, est-ce que c’est avec Origines Contrôlées que l’association a trouvé sa voix pour aborder la question de la mémoire de l’immigration ?
Il y avait déjà des échanges sur ces sujets dans les précédents festivals mais Origines Contrôlées a effectivement été envisagé comme un projet articulé autour de ces questions patrimoniales, elles en sont la colonne vertébrale. L’idée est partie de deux choses. D’abord de la campagne des Motivés lors des élections municipales en 2001 et du racisme auquel on s’est retrouvé confronté. Lorsqu’on a entendu le slogan « pas d’arabes au Capitole », on s’est dit qu’il fallait qu’on travaille là-dessus. Et puis, à peu près au même moment, j’ai fait la connaissance du chercheur Pascal Blanchard et de ses travaux sur la fracture coloniale. J’ai de suite senti que des sujets aussi passionnants ne devaient pas rester dans le cercle un peu restreint de la recherche. D’autant qu’en 2004, il y avait un grand vide sur le sujet, il était urgent de trouver des moyens de raconter l’histoire coloniale pour comprendre pourquoi la France ressemble à ce qu’elle est.
Vous avez donc choisi la forme d’un festival qui est devenu un modèle d’articulation entre moments festifs et de réflexion, c’est quoi le secret ?
On a voulu créer un espace pour débattre tranquillement et le plus important était de refuser les hiérarchies entres les différentes paroles. Qu’elles soient scientifiques, militantes, artistiques ou personnelles, tout nous intéresse à condition qu’elles s’expriment à partir d’une conviction. Nous avons également fait le choix d’organiser les rencontres, débats, projections et les spectacles dans la même salle. À 18h, on débat et à 21h, ça devient une salle de concert. Tout le monde circule même si certains ne viennent que pour la fête et c’est d’ailleurs très bien comme ça. Et puis il y a une partie de la réflexion qui consiste à articuler la programmation, ce qui ne veut pas dire que le spectacle du soir doit strictement coller avec le sujet de la rencontre.
Il y a quelques années, vous avez fait le choix de revenir dans les quartiers Nord de Toulouse.
Oui nous avons décidé de réinvestir le quartier des Izards que nous n’avions de toute façon jamais laissé tomber. Bien sûr, on s’est demandé si le public habitué à venir au centre-ville allait suivre. Nous ne voulions pas être une fête de quartier mais un festival toulousain. Et puis nous avons eu envie d’envoyer ce message : Les Izards, c’est Toulouse, c’est une question de droit à la ville, on peut faire un festival où on veut.
Quels sont les souvenirs qui vous reviennent en pensant à ces 20 ans ?
Pfff, trop dur ! Beaucoup de moments très forts comme la venue de Leïla Chahid, déléguée de Palestine, les concerts de Mouss et Hakim avec l’album Origines Contrôlées à la Halle aux Grains, l’hommage à Edouard Glissant avec Patrick Chamoiseau… En se replongeant dans les archives, on s’est aussi rendu compte qu’il y avait des artistes qu’on avait programmé cinq ou six fois comme Rachid Taha, Casey, Rocé ou La Rumeur. On assume totalement, ce sont des relations fortes qui racontent une histoire.
Difficile de résumer 20 ans d’histoire en une édition anniversaire ?
Oui, sachant que ces 20 ans coïncident avec les 40 ans de ce qu’on a appelé la marche des beurs. Ce sera donc une édition fournie avec une dizaine de dates articulées autour des mobilisations pour l’égalité des droits mais aussi sur l’évolution de la situation. Il y a des nouvelles lois, des nouveaux arrivants, on a décidé d’aborder ces questions par le biais de la l’hospitalité, en se demandant pourquoi elle est en crise. Pour les 20 ans, nous avons aussi eu envie de passer le relais en donnant carte blanche à des jeunes militants toulousains pour définir des sujets de rencontres. On se rend compte que de nouveaux thèmes surgissent et c’est très intéressant. En tout cas, j’ai l’impression que par rapport à 2004, le fait de créer nous-même un lieu d’échange est une soupape encore plus nécessaire. On va faire comme on fait depuis le début, en se projetant édition après édition mais il est archi nécessaire que ce travail continue.