[ÉTAT DES LIEUX]
LITTÉRATURE JEUNESSE,
L’ÉCOLE TOULOUSAINE
Toulouse, haut lieu de la littérature jeunesse ? L’écosystème y est en tout cas particulièrement riche et dynamique. À l’image d’un genre en pleine effervescence. Clutch s’est donc offert une petite cure de jouvence en se replongeant dans les livres avec images.
| Nicolas Mathé
Il suffit d’ouvrir les portes de n’importe quelle libraire pour mesurer l’espace pris par la littérature jeunesse ces dernières années. Et d’ouvrir les pages des ouvrages pour constater sa richesse, au point de revendiquer le rang de 10ème art. Toujours plus dynamique, à la fois ludique et qualitative, elle est aujourd’hui un genre qui pèse. Avec 65 millions de titres vendus en 2022, l’édition jeunesse occupe la deuxième place dans l’industrie du livre, juste derrière la littérature générale. Nombre de petits toulousains ne le savent peut-être pas quand ils tiennent dans leur main un bouquin arborant le sigle Milan, mais la Ville rose abrite l’un des acteurs historiques du secteur, toujours aujourd’hui parmi les 10 premiers éditeurs jeunesse en France. Racheté en 2004 par le groupe Bayard, Milan est à la fois une maison d’édition qui a fêté 40 ans l’an dernier, et un groupe de presse (fondé deux ans plus tôt, en 1980) auquel on doit de célèbres magazines comme Toboggan, Wapiti ou Toupie. « Édition et presse partagent toujours les mêmes locaux à Toulouse, ce qui crée une belle synergie entre les livres et les magazines. Nous avons la même passion, celle de transmettre le plaisir de la découverte du monde, des autres et de soi-même, de donner les clés de compréhension qui permettent aux enfants de grandir librement », explique Bénédicte Debèse, codirectrice générale des éditions Milan. Pour cette partie de l’activité, la structure publie environ 300 nouveautés par an et couvre un large éventail, de la petite enfance aux grands ados ; livres tissus ou de bain, comptines, albums, romans de fantasy… Milan, qui tire son nom du rapace des Pyrénées à la vue perçante, est même en position de leader sur le marché du documentaire, grâce notamment à la collection Mes Ptits Docs. Aux premières loges de l’évolution de la littérature jeunesse, Bénédicte Debèse confirme sa vitalité : « c’est le secteur le plus innovant, le plus dynamique de l’édition. Particulièrement l’édition jeunesse française, dont la créativité est remarquée lors de chaque foire internationale ».
Dans le sillage de Milan, un paysage dense et complet s’est formé à Toulouse. L’on y recense d’autres éditeurs comme Plume de Carotte, maison en place depuis 20 ans qui s’évertue à créer des liens entre l’Homme et la Nature, une librairie spécialisée, Tire Lire… Et bien sûr une foule d’auteurs, d’illustrateurs, de dessinateurs talentueux. Et ce pour tous les âges, de Tristan Mory, dont les albums à tirette (Qui suis-je, Le livre qui sait tout faire…) ravissent les tout-petits, à Rachel Corenblit, qui cartonne auprès des adolescents avec ses romans, en passant par Serge Carrère, créateur du personnage de BD Léo Loden et dernier dessinateur en date d’Achille Talon… Sans oublier Marie-Constance Mallard qui a su faire vibrer la fibre locale avec les aventures de sa petite souris Violette Mirgue dans les rues de Toulouse ou dans les Pyrénées. « La seule chose qui manque à Toulouse pour mettre en avant tous ces talents, notamment dans le domaine de la BD, c’est un événement ou un salon. Ça me rend très triste », déplore Romain Pujol, scénariste-dessinateur toulousain aux multiples projets (voir p.7).
AU DÉBUT DE L’HISTOIRE…
Au sein de l’agglomération, il y a tout de même le Festival Livre Jeunesse Occitanie, dont la 22ème édition se déroulera du 20 au 28 janvier prochains à Saint-Orens de Gameville. Un événement familial qui accueille chaque année une cinquantaine d’auteurs, dont toujours une bonne moitié issus de la région. Créé par un groupe d’anciens enseignants en partenariat avec la librairie toulousaine La Renaissance, le festival a accompagné la montée en puissance de la littérature jeunesse. « Il y a eu une explosion qui date environ des années 2000. Et qui se caractérise non seulement par une créativité débordante dans la manière de concevoir les ouvrages et de les présenter à travers des nouvelles formes de médiation. Mais aussi et surtout par une véritable pensée qui s’est développée autour du livre jeunesse. Le paradoxe, c’est qu’avec la multiplication des propositions, cela devient de plus en plus difficile pour les auteurs », développe Katell Gabriel-Abgrall, la coordinatrice du festival. Un sujet sur lequel Bénédicte Debèse des éditions Milan confie être particulièrement vigilante : « les auteurs sont le maillon essentiel de cette belle chaîne, il peut être parfois nécessaire de travailler à souder la confiance entre eux et les éditeurs », assure-t-elle. Car si tout n’est pas rose, les acteurs de la filière ont bien conscience de cet enjeu qui les rassemble et qui consiste à trouver la juste place dans cette phase importante de la construction de l’individu qu’est l’enfance. Surtout dans un monde aux repères incertains. « Nous voyons bien, par exemple, que l’écologie est évidemment un sujet de plus en plus évoqué dans les livres pour enfants. Mais je pense qu’il faut faire attention à l’aspect trop pédagogique, parfois moralisateur. En tant qu’acteurs de la littérature jeunesse, nous sommes surtout au début d’un parcours, il s’agit de former les lecteurs de demain », affirme Katell Gabriel-Abgrall. Bien que les études montrent un fléchissement de la lecture chez les jeunes au moment du collège, forcément concurrencée par les écrans, cette dernière reste optimiste : « Dans notre domaine, il faut être un peu militant du livre. Nous semons des graines qui peuvent porter leur fruit à tout moment de la vie ».
L’HEURE JOYEUSE OU LE PATRIMOINE JEUNESSE DE TOULOUSE
Connaissez-vous l’histoire du Patrimoine jeunesse de la Bibliothèque de Toulouse ? Cette incroyable collection de livres pour enfants du 18ème siècle à nos jours (abécédaires, romans d’aventures, contes, fables…), on la doit à une femme, Suzanne Dobelman. À la tête de la bibliothèque municipale, elle fonde en 1940 l’Heure joyeuse de Toulouse, une des premières déclinaisons en province de la première bibliothèque jeunesse à Paris. Ouvert en pleine guerre, le lieu connaît un fort succès. Et pose les fondements de ce trésor consultable sur Rosalis, la bibliothèque numérique patrimoniale de Toulouse. | rosalis.bibliotheque.toulouse.fr
3 QUESTIONS À… ROMAIN PUJOL
Auteur toulousain, scénariste notamment des séries Avni et Kid Paddle
Quel a été ton parcours pour devenir auteur de BD jeunesse ?
Je suis un enfant qui n’a jamais arrêté de dessiner. À 18 ans, j’avais un blog BD, c’était le début du dessin sur Internet et j’ai assez vite agrégé une communauté. Puis j’ai été contacté par Ubisoft qui cherchait à adapter en BD les Lapins Crétins, c’est ce qui m’a véritablement lancé. Ensuite j’ai créé la série Avni pour le magazine Toboggan, avant que cela ne devienne une série qui vient de fêter ses 10 ans. Je suis régulièrement publié dans le Journal de Spirou et je travaille sur plusieurs autres BD, dont certaines pour les adolescents.
Tu as la particularité d’être à la fois dessinateur et scénariste.
Oui j’ai notamment dessiné les 9 premiers tomes des Lapins Crétins mais aujourd’hui, je ne fais quasiment plus que du scénario. À l’origine, j’ai toujours voulu raconter des histoires. Dans ma façon de voir les choses, il n’y a pas de dessin s’il n’y a pas d’histoire. Pour Avni, quand Milan Presse m’a demandé de créer un héros pour la jeunesse, j’ai de suite pensé à la thématique de la différence. Tout mon travail en parle plus ou moins, je pense que j’écris pour le moi d’avant.
À quel moment de son évolution en est la littérature jeunesse ?
Le problème est qu’il n’y a jamais eu autant de lecteurs mais que les auteurs n’ont jamais été aussi mal. La grande majorité galère, surtout les dessinateurs. J’ai eu une chance incroyable de démarrer ce métier avec les Lapins Crétins. Avoir un succès est devenu très peu probable, c’est la loterie ! Il n’y a pas de recette, il faut juste se dire que les enfants sont loin d’être bêtes et s’adresser à eux en conséquence.