CINÉ PALESTINE : Le devoir de raconter
[CINÉMA] Différentes salles à Toulouse | du 4 au 12 mars | cine-palestine-toulouse.fr
Débuté ce lundi 4 mars, Ciné Palestine fête sa décennie avec neuf jours de festival autour de la culture palestinienne. Clutch a posé quelques questions à Jeanine Vernhes Arabi, coordinatrice de l’événement et présidente de l’asso’ Compagnie Ici, Là-Bas et Ailleurs, porteuse du festival.
| Propos recueillis par Maide Puchulu
Quel a été le souhait initial lors de la création du festival il y a 10 ans ?
Nous voulions créer un festival valorisant la culture du Moyen-Orient, au travers de la poésie, de la littérature, et tout particulièrement du cinéma. Témoin d’images et de regards particuliers sur la société, le cinéma palestinien est universel et de grande qualité. Il y a une dizaine d’années ce cinéma était totalement méconnu du grand public. Ciné-Palestine a été le premier événement de ce type à exister en France. Aujourd’hui, sa fréquentation a plus que doublée en dix ans, passant de 1200 spectateurs lors de la première édition à plus de 3500 l’année dernière, en comptant les projections « hors-saison ». On remarque également que notre public rajeunit, composé de connaisseurs au départ, aujourd’hui nous arrivons à attirer de simple curieux. Notre but a été atteint, celui d’apporter le cinéma palestinien au plus grand nombre.
Quels ont été les moments forts de ces 10 années d’existence du festival ?
Beaucoup de souvenirs me viennent en tête mais si je devais en garder un ce serait l’accueil de la chercheuse Khadijeh Habashneh en 2018, qui s’est mise en quête de retrouver des archives du cinéma palestinien disparues, à la suite des événements de l’histoire palestinienne, dans les années 70. Sa venue a déclenché un projet en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse, de récupération et de numérisation de ces archives pour faciliter leur conservation. L’entièreté des films a également été sous-titrée, afin de faciliter la compréhension de l’histoire du cinéma, et par conséquent de la Palestine, au plus grand nombre.
Ensuite, l’accueil des salles pleines pour les projections de clôtures sont des grand moment de satisfaction pour toute l’équipe organisatrice et pour nos bénévoles absolument magnifiques. Le festival a aussi permis de rassembler de jeunes cinéastes exilés en Israël, en Allemagne, en Cisjordanie… C’est un aspect que nous n’avions pas du tout anticipé au départ. L’événement a un rôle fédérateur pour le cinéma palestinien dont nous sommes très fiers.
Quelle est la place du festival à l’échelle locale puis plus largement, à l’échelle nationale ?
Tout d’abord, à l’échelle locale, le festival a son petit nom et est reconnu. Il a toute sa place dans le panorama local, puisqu’il participe au rayonnement de Toulouse, en sollicitant toutes les salles de projection de la ville et de ses alentours. À l’échelle nationale, Ciné Palestine a été le premier festival palestinien de ce type lors de sa création en 2014. Par la suite, différents événements ont vu le jour, notamment Ciné-Palestine à Paris en 2015 ou encore à Strasbourg, Nantes… mais sur des durées plus courtes. À la différence de notre festival, le Ciné-Palestine Paris organise une compétition de courts-métrages.
Quelle est la situation du cinéma palestinien aujourd’hui ?
Les conditions des cinéastes et réalisateurs palestiniens demeurent complexes. Tout d’abord, la plupart du temps, ils sont contraints de s’exiler pour exercer leur profession. Malgré cela, tous restent attachés à la Palestine, Mohamed Jabaly, artiste et réalisateur originaire de Gaza vivant en Norvège, a notamment dit : « la Palestine nous colle à la peau. On a un devoir de raconter ». Ils se sentent obligés de mettre leur art au service de leur pays et de leur population.
Annemarie Jacir, réalisatrice de Wajib, parle de la sortie de film palestinien comme un « miracle ». Les cinéastes rencontrent de grandes difficultés de financement. Par ailleurs, aller filmer sur place demeure difficile, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas forcément filmer ce qu’ils veulent.
Un exemple parlant est Maha Haj, réalisatrice et scénariste palestinienne, qui lors de la réalisation de son film Personal Affairs en 2016, a rencontré des difficultés pour obtenir un financement public par les Fonds Israéliens. Vivant en Israël mais étant d’origine palestinienne, les autorités ont refusé de lui attribuer une aide, si elle publiait son film sous nationalité palestinienne.
Quels sont les temps forts de cette édition 2024 ?
Il est difficile de choisir… Pour commencer, je dirais l’ouverture du festival par un concert de soutien aux populations palestiniennes de Gaza. L’intégralité des fonds recueillis reviendra à l’association Palestinian Medical Relief Society (PMRS), en partenariat avec le Secours Populaire. Pour l’occasion, une dizaine d’artistes bénévoles seront de la partie, pour tenter d’apporter un peu de douceur, de poésie et de chant, à l’atrocité du conflit actuel.
Côté projections, le film Bir’em réalisé par Camille Clavel, Français qui a voyagé en Palestine, ouvrira le bal le 4 mars. Nous aurons la chance également de pouvoir visionner en avant-première « Archives en exil », résultat des travaux de la chercheuse Khadijeh Habashneh en partenariat avec la cinémathèque de Toulouse, comme je l’ai dit précédemment. Cette projection est exclusive puisque que ces films n’ont jamais été diffusés auparavant. C’est de l’ordre de l’Histoire de la Palestine et du cinéma révolutionnaire palestinien. La projection se fera en présence de Leila Shahid, ancienne ambassadrice de l’OLP à Paris et de la chercheuse à l’origine de ces travaux.
Nous aurons également un focus sur l’histoire des Palestiniens d’Israël et le cinéma libanais, deux composantes plutôt méconnues du grand public. Par exemple, bien qu’ils soient représentés au Parlement, les Palestiniens d’Israël sont obligés d’apprendre l’hébreu car l’arabe n’est pas enseigné. Ils ont également pour interdiction de détenir le drapeau palestinien ou de le brandir. Côté Liban, nous avons la chance d’accueillir Wissam Charaf, réalisateur et figure du cinéma libanais pour la projection de son film Dirty, Difficult, Dangerous.
La programmation est encore riche, nous aurons notamment des lectures traduites de poètes palestiniens. La littérature palestinienne est une composante que nous tenons vivement à mettre en avant.
Au vu du contexte actuel au Moyen-Orient, quels sont les enjeux du festival ?
Les informations ont tendance à résumer la Palestine à ses conflits, d’autant plus depuis octobre dernier. En neuf jours, nous voulons permettre au public de s’imprégner de cette culture riche en laissant parler l’art, de se plonger dans la sociologie et le vécu de cette population meurtrie. Nous sommes là pour rappeler que le peuple palestinien, ce sont aussi des livres, des images, des témoignages et des traditions.