[ÉTAT DES LIEUX]
SPORT ET CULTURE,
CORPS ACCORDS !

Au cas où vous n’en auriez pas entendu parler, on vous prévient, cet été, il va y avoir du sport ! L’occasion de s’intéresser aux relations entre art et sport, en testant les capacités physiques des acteurs culturels.

| Nicolas Mathé

Si on osait se lancer dans une comparaison métaphorique de haut niveau, on pourrait dire qu’entre sport et culture, c’est un peu comme entre chien et chat. On s’observe, on se toise, on s’entend parfois très bien mais il y a aussi beaucoup d’incompréhension et de préjugés mutuels. Performance, émotion, beauté du geste, diversité des disciplines, bien être, épanouissement… Il faut d’abord commencer par constater que ces moyens d’expression ont, de toute évidence, nombre de points communs. C’est même l’INSEE qui le dit. Dans une enquête sur le mariage sport et culture, l’institut observe ainsi que « le nombre de sorties, de visites et d’activités artistiques augmente avec celui des activités sportives ». L’esprit sain dans un corps sain, on connaît la chanson. Pour autant les relations entre sport et culture ne sont pas si nourries. Pour preuve, ce sont toujours les mêmes figures que l’on cite en exemple, comme Albert Camus, qui expliquait sa connaissance des hommes par la pratique du football, lui qui officiait comme gardien de but de l’équipe d’Alger. « Ce sont deux mondes opposés, tranche Rémy Rajaona, alias Méro. Les sportifs ont du mal à assimiler l’art et vice et versa ».

Cet artiste-peintre toulousain qui connaît bien l’ambiance des vestiaires pour avoir côtoyé le haut niveau en handball au centre de formation des Fénix de Toulouse déplore les trop rares passerelles. « Dans le hand, il y a qu’un exemple un peu connu, c’est Luc Abalo, un international qui s’est mis à la peinture à sa retraite sportive. Et ce n’est pas un hasard, il s’agissait d’un joueur très créatif sur le terrain, toujours à tenter des gestes incroyables ». Méro, lui, a profité d’une blessure pour renouer l’art, exploré plus jeune. Dans son travail, on trouve notamment une impressionnante collection de portraits de sportifs célèbres ou de tableaux mettant en scène le sport en général. Méro est ainsi régulièrement contacté à ce sujet, comme pour le récent passage du Tour de France à Carcassonne, la customisation de pagaies lors des précédents Jeux Olympiques, une exposition en partenariat avec un club de MMA ou encore une toile en live des Ntamack, père et fils. « C’est un domaine qui me touche forcément, avec beaucoup de personnages hyper charismatiques mais aussi la notion de mouvement, passionnante à retranscrire. Je m’inspire beaucoup de la danse et d’un artiste comme Edgar Degas, qui était en quelque sorte le peintre des danseurs », développe-t-il.


Ce sont deux mondes opposés. Les sportifs ont du mal à assimiler l’art et vice versa

ESPRITS DE CORPS

Dans la relation sport-culture, il y a évidemment un passeur incontournable, c’est le corps. Toutes les pratiques artistiques exigeant des performances physiques, comme le cirque ou la danse, sont, de fait, à la croisée des chemins. C’est aussi le cas du breakdance, qui fera son apparition aux Jeux Olympiques de Paris cet été. Une reconnaissance qui a tout de même provoqué un certain émoi parmi les pratiquants de cette discipline profondément ancrée dans la culture hip-hop. « Il y a eu des débats dans la communauté mais au final, il s’agit juste d’un nouveau format qui n’enlève rien aux autres. Ça participe à la mise en lumière et surtout, ça fait émerger beaucoup plus de bgirls qu’avant », observe François Gustave, alias Ghost, danseur et fondateur de la Brigade Fantôme, crew toulousain créé en 2014. Entre sport et art, ce dernier n’a jamais choisi : « je parle de danse athlétique, cela demande une condition physique mais la créativité reste primordiale ».

Un art soumis à la compétition, avec un système de classement et un vainqueur à la clé ? Pas de quoi bouleverser les habitudes des breakers. « Les battles font partie intégrante de la discipline depuis ses tout débuts dans les années 80. Il y avait cette idée, issue de l’univers des gangs aux États-Unis, de s’affronter par l’art plutôt que par les armes. Aux JO, il y aura juste plus de juges et des critères très précis pour augmenter l’objectivité », assure Ghost. Toute en suivant de près l’actualité olympique, la Brigade Fantôme, qui compte aujourd’hui une douzaine de danseurs dans plusieurs disciplines, s’apprête à fêter ses 10 ans avec plusieurs événements à la rentrée.

Si le sport n’est pas forcément le sujet de prédilection des artistes, cette année olympique aura tout de même eu un certain effet sur le paysage culturel local. La saison avait par exemple commencé du côté de l’Escale à Tournefeuille, avec Arrêts de jeu, pièce créée par Pierre Rigal et Aurélien Bory, autour du fameux France-RFA de 1982, demi-finale épique de coupe du monde de football et traumatisme national. Il y aura eu aussi Skate Park au ThéâtredelaCité (avec La Place de la Danse), spectacle dans lequel la metteuse en scène et chorégraphe Mette Ingvartsen explorait la vitesse et l’énergie du mouvement sur roues. Et jusqu’au mois de novembre 2025, on peut encore voir l’expo « J.K. Ping-Pong Club (U.F.O), 1970 – 2024 » aux Abattoirs. Une installation créée en 1970 par l’artiste Julius Kohler, en réaction au Printemps de Prague, afin d’abolir la frontière entre l’art et la pratique sportive.

LE THÉÂTRE ENTRE SUR LE RING

Enfin, pour clore sa saison, le Théâtre du Pavé programme les 2 et 3 juillet la pièce Chuck ou L’histoire du véritable Balboa, écrite par Gilles Ramade et Marion Stenton. Une réhabilitation en bonne et due forme de Chuck Wepner, véritable boxeur dont le combat contre Mohamed Ali a inspiré Sylvester Stallone pour son personnage de Rocky. « Je ne connaissais pas cet univers mais l’histoire de ce boxeur, issu d’un milieu pauvre, battu par Ali, tout en ayant réussi, contre toute attente, à le mettre à terre, m’a passionnée. Ce combat a changé sa trajectoire. Avant que Stallone ne lui vole véritablement son histoire », raconte Marion Stenton. Un milieu de la boxe des années 70 à la lisière du showbiz et de la mafia, un affrontement entre un boxeur considéré comme loser (bien que 8ème mondial), ayant fait la guerre du Vietnam et une super star charismatique ayant clamé haut et fort son refus de s’engager… Le terrain idéal pour la dramaturgie. Restait à trouver le moyen de la mettre en scène.

Pour donner une forme poétique à ce sport caractérisé par la violence, les deux auteurs ont décidé de l’amener vers le lyrisme. Notamment via Omar Hasan, ancien joueur de rugby du Stade Toulousain devenu chanteur d’opéra et de tango, qui interprète Chuck. « C’était l’acteur idéal, il sait parfaitement ce qu’est le combat physique. Dans la pièce, son personnage parle très peu mais il chante, je lui écrit spécialement un air lyrique », confie Gilles Ramade. De véritables boxeurs interviennent également dans le spectacle à travers des combats réglés en fonction des dialogues. Le « théâtre sent la sueur » et ça ne lui fait pas de mal, selon les auteurs. « Entre les mondes du sport et de la culture, il y a beaucoup d’à priori. Et de complexes mutuels de l’un sur l’autre. Les acteurs se couchent tard, les sportifs se lèvent tôt… », illustre Gilles Ramade. « La grande différence réside dans la manière de s’exprimer, appuie Marion Stenton. Or, le pouvoir du langage est immense, on peut écraser quelqu’un avec des mots. Avec Gilles, nous sommes très touchés par les gens qui n’ont pas forcément les bons mots et qui sont mis de côté. Il n’y a qu’à voir comment les footballeurs sont moqués lorsqu’ils prennent la parole, c’est une violence sociale, de classe ».

Des propos qui font écho à ceux de l’emblématique metteuse en scène du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine, qui appelait récemment de ses vœux une autocritique du monde de la culture face à la montée de l’extrême droite. S’intéresser de plus près au sport semblerait être, par exemple, une bonne piste pour regagner du terrain populaire.