Toulouse, ville des musiques ? Ville des musiciens, assurément. Ville où sévit une scène locale de grande qualité, personne n’en doute. Mais si Toulouse s’enorgueillit de la labellisation décernée en 2023 par l’Unesco, sur le terrain, des acteurs grincent des dents. La principale raison est identifiée depuis longtemps : le manque de salles de concerts. Ou plus précisément, le manque d’un certain type de salles pour permettre à cette scène foisonnante de s’épanouir totalement. Il est vrai qu’en quelques années, les fermetures de la Dynamo, puis du Connexion, ou encore de l’Usine à Musique et de la Cave à Rock, ont entraîné une sorte de morosité ambiante. Les deux premières citées, surtout, ont laissé un grand vide en centre-ville. Un manque que l’Écluse Saint-Pierre (devenu le Flashback Café) avait tenté de combler avant que des problèmes d’insonorisation et de voisinage n’obligent les porteurs du projet à changer de direction. Au vu de la situation, les plus anciens évoquent avec les yeux brillants l’époque des années 80/90 où les petites salles de concerts, surtout jazz et rock, étaient légion à Toulouse : le Plan B, le Speakeasy, Les Trois Petits cochons, la Cave des Blanchers… « Tout était précaire, la tolérance était plus grande. Aujourd’hui, le milieu s’est complètement professionnalisé. Les musiciens sont beaucoup plus exigeants sur leurs conditions de jeu », développe un connaisseur aguerri de la scène locale.

UNE FORÊT QUI SE DENSIFIE

Toulouse sous-dotée en salles de concert, le constat est unanime. Même Francis Grass, adjoint au maire en charge de la culture, le partage. « Une salle ou deux de plus, cela ferait du bien à Toulouse, notamment au vu de l’évolution démographique. Mais nous n’avons pas de prise sur les structures privées et, pour le moment, créer une salle n’est pas dans nos projets. Si ce n’est l’Auditorium qui accueillerait les concerts de l’Orchestre national du Capitole, qui n’est pas encore réalisé et financé. S’il voyait le jour, cela libérerait de la place à la Halle aux Grains pour les musiques actuelles. Cela reste un objectif, mais ce projet n’aboutira pas dans les années qui viennent », confiait l’élu en juin 2024 à ActuToulouse. Visionnaire Francis Grass ? Il se trouve que depuis l’été dernier, la dynamique semble s’être inversée avec l’apparition dans le paysage de deux équipements d’envergure : La Cabane, ouverte en septembre 2024 à la Cartoucherie, et Interference, enfin inaugurée en février dernier après plusieurs années de galères. Concernant cette dernière, l’enthousiasme généré par les premières soirées d’ouverture a rapidement confirmé l’attente qui existait. Avec sa jauge modulable (500 à 2 500 places selon les configurations), son méga rooftop qui a accueilli tout l’été de superbes open air, et au vu de la diversité de la programmation des mois à venir (des pépites du rap aux stars de l’humour en passant par des artistes rock, electro ou techno confirmés), il semble que le pari soit réussi. À la Cabane, dans une dimension plus réduite (430 en assis et 750 en mode assis/debout), le bilan est tout aussi réjouissant après une première année d’activité. Les chiffres sont précis : 87 spectacles accueillis, dont 54 concerts, pour un total de 43 290 spectateurs. « C’est super satisfaisant, se félicite Nicolas Pozmanoff, responsable de la programmation. Tous les retours sont positifs, nous avons accueilli une grande diversité de spectacles et travaillé avec 27 producteurs différents, principalement locaux. Nous avons proposé une jauge qui manquait à Toulouse et qui a permis de proposer au public toulousain des artistes plus tout à fait émergents mais pas non plus en capacité de faire un Bikini par exemple ». Outre Bleu Citron, qui y a produit une quarantaine de spectacles, des structures locales emblématiques (Regarts, Noiser…) et des festivals (Printemps du Rire, Girls don’t cry…) se sont en effet appropriés l’outil. Et de nouveaux suivront durant cette saison, à l’image du Rosa burlesque festival.

Avec un modèle économique relativement semblable, reposant en partie sur les privatisations, ces deux nouvelles salles ont incontestablement permis de densifier le tissu et combler les trous dans la raquette en matière de jauges bien spécifiques. Entre le Rex (500 personnes), le Metronum (600 places), seule vraie salle de concerts gérée par la Ville et qui a récemment obtenu le label SMAC, la Cabane, le Bikini (1 300), Interference et le Zénith, on peut dire que Toulouse et son agglomération sont désormais équipés pour accueillir des artistes de musiques actuelles à tous les stades de leur développement. De plus, la ville compte plusieurs autres équipements plus spécifiques, comme la salle Nougaro, gérée par le Comité social et économique d’Airbus et spécialisée dans la chanson et les musiques du monde, le Taquin, petite mais ô combien dynamique salle dédiée à la fourmillante scène jazz toulousaine (mais pas que), ou encore Le labo des arts, de plus en plus actif dans des esthétiques assez pointues (post rock, shoegaze, indie, folk…). Il ne faut pas oublier non plus les centres culturels qui, pour certains, abritent de jolies salles méconnues. Par exemple à Bonnefoy, Saint-Cyprien, Alban Minville, Henri-Desbals ou, bien sûr, aux Mazades, avec une superbe salle de près de 600 places mais peu adaptée aux musiques actuelles. Enfin, s’il y a bien une spécificité toulousaine, ce sont les lieux de patrimoine qui se transforment volontiers en lieux de diffusion. L’Église du Gésu, la Chapelle des Carmélites (toutes deux désacralisées), la Halle aux Grains, le Couvent des jacobins ou l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines sont ainsi de superbes écrins temporaires pour des concerts.

LA NOUVELLE PARURE DU BIJOU

Le tableau n’est donc pas si noir dans la Ville rose. Il n’en reste pas moins qu’il manque toujours cette petite salle qui soulagerait tant de groupes ou d’artistes émergents galérant à ce jour à se produire à Toulouse. Le besoin est tellement partagé et connu des acteurs locaux que, forcément, plusieurs projets sont en cours pour tenter de l’assouvir. Au début de l’été, les gérants du bar Les Tilleuls avaient annoncé le lancement d’une première phase de test en vue de la création d’une petite salle de concert attenante au café. Finalement repoussé, le projet est néanmoins toujours d’actualité. C’est au Bijou que le dossier est le plus brûlant. Depuis le passage en société coopérative en 2024, l’équipe à la tête de l’emblématique salle de concert du quartier Croix de Pierre opère une mue tranquille. Avec l’ambition de pallier à ce fameux manque et jouer un rôle actif pour la scène locale. Jusqu’à présent les changements sont discrets mais majeurs : concerts avancés à 21h, ouverture le samedi… De quoi rajeunir le public et afficher un joli aux de remplissage. Surtout, des travaux sont en cours afin de permettre une configuration de la salle entièrement debout, avec une jauge à 186 personnes. « L’idée est d’avoir une salle modulable, soit tout assis, soit tout debout. Cela va nous permettre d’aller vers des projets sur lesquels on n’allait pas jusqu’à présent, en gardant notre ADN des textes en français. On veut ancrer le Bijou dans son époque et dès janvier prochain, on va pouvoir s’ouvrir encore plus à la promotion locale », détaille Kévin Goret, codirecteur de la structure. Très identifié « chanson », le Bijou entend bien garder son identité tout en faisant de grands pas vers les musiques actuelles. Un premier concert debout est d’ores et déjà programmé en décembre. Une petite révolution dans l’histoire du Bijou. Et un modèle coopératif qui pourrait bien inspirer d’autres passionnés désireux de faire fleurir un écosystème musical riche et pérenne
à Toulouse.