[ÉTAT DES LIEUX]
CULTURE BIÈRE : LA MOUSSE
POUSSE À TOULOUSE !

Comme toute grande ville française, Toulouse n’échappe à l’essor ininterrompu de la bière artisanale. Petit panorama d’une ville particulièrement dynamique en matière de houblon.

| Nicolas Mathé

Parmi les secrets insolites de Toulouse, saviez-vous que sur la façade du 10 rue du Pont de Tunis, trône le buste de Gambrinus, roi de la bière qui en aurait, selon la légende, échangé la recette avec le diable contre son âme ? Marquant l’entrée de ce qui était autrefois l’une des plus antiques brasseries artisanales de Toulouse, la sculpture ne symboliserait-elle pas une ville qui serait, elle aussi, en train de succomber aux charmes du houblon. Car le refrain est le même partout en France. Avec 20 % d’augmentation par an, la courbe de la consommation de bière flirte avec celle du vin et s’apprêterait même à la croiser.
À en croire certains baromètres, la mousse arriverait même en tête des alcools préférés des Français pour la première fois en 2022. Une véritable tendance de fond qui s’appuie sur la recherche de produits locaux, de qualité et authentiques. Rien de spécifique à Toulouse donc même si le panorama y est particulièrement dense et complet. Bars à bières en pagaille, brasseurs (voir encadré), cavistes spécialisés (Zytophiles, Houblonnerie, Voie Maltée, Beer Mosaïc, Autour d’une bière…), festivals (Octobière, Toulouse Beer Fest…)… Tout y est. À Toulouse, on peut aussi boire de la bière artisanale en vélo avec le concept de Vélo bar, développé par le Festibike ou apprendre à brasser soi-même dans un établissement comme la Beer Fabrique, qui après Paris ou Lyon, s’est inexorablement installée ici.

La bière est un vrai phénomène générationnel

Et pour guider les palais curieux, il y a même Bierty, une application toulousaine de conseil personnalisé et géocalisé, lancée en 2020 par Ronan Heriquet. « On est dans le top 3 des villes en nombre de lieux proposant de la bière artisanale par habitant. Mais malgré cet engouement que l’on retrouve partout, il n’existe pas encore, en France, de vraie culture de la bière comme il en existe pour le vin. Beaucoup de personnes ne savent pas quoi commander quand ils entrent dans un bar. En général, les gens ne connaissent pas très bien la bière » expliquait celui-ci au moment du lancement du projet, justement destiné à combler ces manques. Si la bière n’est pas encore le nouveau vin, la bière artisanale colle tout de même sacrément à l’air du temps. De quelques centaines en 2009, le nombre de brasseries artisanales en France est passé aujourd’hui à près de 3 000. Une explosion initiée au début des années 2010 et que la crise sanitaire du Covid a encore amplifié. « Au début, beaucoup pensaient que ce serait une bulle qui finirait par éclater. C’est loin d’être le cas », constate Thierry Régnier, créateur du Toulouse Beer Fest, qui au fil des éditions du festival a pu observer une démocratisation progressive autour de la bière craft. Son concept : faire se rencontrer sur une journée et un même lieu les brasseurs locaux et le grand public. « Chaque année, on a eu de plus en plus de monde, avec notamment des familles, et pas seulement ce qu’on appelle des beer geeks. Même si les brasseurs adorent expérimenter des goûts et des saveurs, il y aura toujours un côté moins solennel par rapport au vin. Il n’y a pas d’élitisme, les prix restent abordables et sont justifiés et acceptés par le public en raison de la qualité », poursuit le fondateur de TBF, qui après une année blanche, reviendra en 2023.

« CA Y EST, LA FRANCE EST UN PAYS DE BIÈRE »

Du côté de la jeune garde, on est encore plus catégorique. « La bière est un vrai phénomène générationnel, quand on a entre 20 et 40 ans, qu’on vit dans une grande ville, c’est la bière qu’on privilégie. Alors que dans les pays qui ont une culture de la bière comme l’Allemagne et la Belgique, la consommation à tendance à baisser, en France, ça augmente. Ça y est nous sommes un pays de bière, le vin a perdu, même si les lobbys résistent », claironne Joris Lazuech, patron du bar l’Autruche qui a la particularité de brasser sa propre bière via sa Brasserie du Bec. C’est ce qu’on appelle un brew pub, concept anglo-saxon mêlant bar et micro brasserie. De plus en plus d’établissements avec cet aspect hybride voient le jour, comme le Hopscotch Pub ou le Brassin’s à Fonbeauzard. Symboles de cette nouvelle génération en train de façonner une culture. À l’Autruche, cela fait sept ans que ça dure : « Au début, je n’y connaissais rien. Heureusement, il y a toute une bibliographie et des ressources accessibles, notamment anglo-saxones. Aujourd’hui pour l’Autruche, on brasse près de 250 hectolitres par an, qui alimentent huit de nos dix becs. Une petite partie de la production est écoulée auprès de restos, de festivals ou d’assos », détaille Joris Lazuech. La recette porte ses fruits puisque ce dernier a ouvert un autre brew pub aux Minimes, le Ministère des Brasseurs, avec une capacité plus importante.
Même si des contraintes sérieuses d’approvisionnement existent, pour les matières premières notamment (voir entretien), les brew pub sont les parfaits exemples de ce monde de la bière en quête de circuits courts et d’économie circulaire. Une réflexion poussée à l’extrême par un autre établissement toulousain, la Brewlangerie. Alors que des brasseurs locaux se font une spécialité de concocter des bières insolites, à la chocolatine, à la fraise tagada ou à la violette, ici on fait de la bière à base de pain. Et vice versa. Créateur de l’enseigne, ouverte en 2018 avenue de Muret, Romain Courbet est un boulanger de formation qui cherchait le moyen de palier les dysfonctionnements de son métier en matière de gaspillage. Il a ainsi eu l’idée de faire de la bière à partir de ses invendus. « Le pain dur vient juste remplacer une partie de la céréale sans aucun impact sur le goût », explique le boulanger qui s’est improvisé brasseur. Pour aller plus loin dans la démarche et tendre vers le zéro déchet, certains pains ainsi que des cookies sont confectionnés avec de la drèche, principal déchet issu du brassage. Ainsi, dans les clichés sur les Français du futur, à côté de la baguette, c’est peut-être le verre de blonde qui remplacera le ballon de rouge.

OÙ TROUVER DES BIÈRES À TOULOUSE ?
Caporal – 17 rue du général de Marmier (Toulouse) : brasseriecaporal.fr
La Garonnette – 3 rue Henri Mayer (Toulouse) : lagaronnette.fr
Le Veilleur de Bière – 230 avenue des Pyrénées (Muret) : leveilleurdebieres.com
La Brasserie Aviateur – 86 rue de Negreneys (Toulouse) : aviateur.beer
Les Frères Brasseurs – 46 route de Paris (Aucamville) : freresbrasseurs.com
Ice Breaker Brewing – 26 rue de l’Europe (Montrabé) : icebreakerbrewingco.com
BBT Brasseur Toulousain – 6 rue Emile Dewoitine (Cornebarrieu) : brasseur-toulousain.fr
La Seillonne – 5 impasse d’Occitanie (Verfeil) : brasseriedelaseillonne.fr

3 QUESTIONS À… ERIC BILLE
Président de l’Association des Brasseurs Indépendants d’Occitanie (BRIO)


Comment se portent les brasseurs indépendants en Occitanie ?
Comme partout ! C’est bien simple, on est passé d’environ 70 brasseurs en 2014 à environ 220 aujourd’hui. On est dans le top 5 des régions brassicoles. Et cela ne s’arrête pas. Au niveau national, la bière artisanale pourrait atteindre 10 à 12 % du marché de la bière. Les gens essaient de consommer local et la bière en fait évidemment partie.

Quel est le rôle du Brio ?
L’asso a été créée pour accompagner l’énorme engouement que l’on connaît depuis le début des années 2010. L’idée est bien sûr de mutualiser certains coûts et de communiquer pour promouvoir nos adhérents. Mais nous échangeons aussi énormément sur des questions techniques. Il y a, d’un côté, beaucoup de brasseurs qui se lancent en autodidacte et, de l’autre, des brasseries qui grossissent et recrutent, on a donc lancé une démarche collective pour former les nouveaux venus.

Être brasseur artisanal, c’est forcément être engagé ?
En tout cas, on a une charte pour défendre certaines valeurs et on réfléchit sans cesse aux moyens de réduire les impacts de nos activités. On travaille avec Consign’up pour le recyclage des bouteilles, avec une coopérative pour mutualiser la distribution… Surtout, avec la Région, nous avons le projet de mettre en place une filière brassicole entièrement bio permettant d’acheter tous les ingrédients en Occitanie. Il manque aujourd’hui du houblon et environ 4 000 tonnes d’orge pour y parvenir. Il y a beaucoup de contraintes techniques, mais c’est réalisable.