[ÉTAT DES LIEUX]
FESTIVALS DE CINÉMA,
TOULOUSE AU PREMIER PLAN
On n’y voit pas souvent de tapis rouge, on n’y croise pas tous les jours de stars derrière des lunettes de soleil. Pourtant, parmi ses spécificités, Toulouse est une ville de festivals de cinéma. Focus sur un paysage d’une immense diversité, sans bling-bling ni statuettes, mais avec beaucoup de cinéphilie et un grand sens de la fête.
| Nicolas Mathé
« C’est quand même fou le nombre de festivals de cinéma à Toulouse ». À force de se faire la remarque depuis dix piges, il fallait un jour se pencher sur le sujet. Première étape donc : s’assurer qu’il ne s’agit pas juste d’une impression. Pour cela, un petit recensement des événements en question s’impose. Après un large tour d’horizon incluant les manifestions dédiées à l’image en général, nous en avons listé facilement plus de trente (chiffre non officiel avec oublis potentiels). Et en regardant un peu ce qui se fait dans d’autres villes, on peut sans trop prendre de risque avancer que, hormis Paris, Toulouse est loin devant. Ceci étant dit, reste à expliquer ce phénomène qui n’a peut-être pas de véritable explication même si une intuition nous mène directement vers la Cinémathèque de Toulouse. De par l’histoire de sa fondation par Raymond Borde et une équipe de bénévoles qui ont commencé à collecter des films partout sur le territoire dès les années 50, avant de créer officiellement l’association en 1964, l’institution de la rue du Taur fait en effet office de gardien de la mémoire cinématographique locale. « Il y a une culture cinéphile très importante à Toulouse, confirme Franck Loiret, actuel directeur de la Cinémathèque. Après guerre, les ciné-clubs y étaient particulièrement actifs et les salles de cinéma très nombreuses dans chaque quartier. Aujourd’hui encore, Toulouse est une des villes où la fréquentation des salles est la plus importante en France ». Un terreau propice qui a visiblement favorisé la formation de plusieurs générations de spectateurs ainsi que l’émergence d’une véritable cinéphilie populaire.
LE TOUR DU MONDE EN 80 FESTIVALS
La Cinémathèque organise elle-même quatre festivals par an : Extrême cinéma, dédié à la marge et qui représente le mieux l’identité du lieu, La Cinémathèque junior en fête, pour les bambins, Synchro, le plus récent, consacré au ciné-concert et Cinéma en plein air, le plus populaire qui a accueilli l’été dernier 16 000 spectateurs, un record ! Et elle est bien sûr l’épicentre de nombreux autres festivals partenaires qu’elle ac- cueille pour l’entièreté des festivités (comme Cinelatino ou Cinespana) ou pour une soirée seulement. « C’est notre rôle d’être la maison des cinémas mais nous ne pouvons pas accueillir tout le monde tant il y a de propositions. En matière de festivals, on entend régulièrement dire que la ville compte effectivement beaucoup d’événements sans qu’il y en ait un ou deux qui ressortent du lot, comme cela peut être le cas dans d’autres villes. C’est peut-être la spécificité toulousaine », poursuit Franck Loiret. Conformément à une sorte de tradition locale collective, aucun gros arbre ne vient cacher une forêt hyper diversifiée. Il y a non seulement de la place pour tous les genres et les formes : le court avec Séquence Court-Métrage, présent depuis 1991 et Faîtes de l’image, dédié aux « faiseurs » du domaine audiovisuel, l’art vidéo expérimental (Rencontres internationales Traverse), le documentaire (Latino Docs) le cinéma jeunesse (Cinéminots)… Mais aussi pour des thèmes bien spécifiques. L’écologie (Festival international du film d’environnement), les droits de l’Homme (Cinéma et droits de l’homme), l’histoire (Festival international du film de fiction historique), le fantastique (Grindhouse Paradise), le féminisme (Girls don’t cry film festival), la musique (Visions musicales), les représentations LGBTQI (Des Images aux mots), la culture sourde (Film’Ô) ont par exemple leur festival de cinéma à Toulouse. Il y a même depuis peu un événement, Kino Rose, qui propose aux participants de fabriquer des films pendant la durée des festivités. Et on n’oublie pas l’inclassable Fifigrot, qui sous ses airs de bazar exotique grolandais est un vrai festival de cinéma mettant en avant des pépites décalées et des satires sociales à l’humour déjanté.
À ce paysage déjà bien dense, il faut aussi rajouter les manifestations qui forment le plus gros contingent : celles mettant en lumière le cinéma d’un pays en particulier ou d’une zone géographique. En exagérant à peine, on pourrait presque faire le tour de monde sans bouger de Toulouse à travers les écrans. Outre l’Amérique latine et l’Espagne, la Pologne (Kinopolska), la Palestine (Ciné Palestine), Israël (Printemps du cinéma israélien), la Roumanie (Festival du film roumain), l’Italie (Rencontres du cinéma italien), l’Allemagne (Quinzaine franco-allemande), l’Inde (Festival des films indiens), le Maroc (Les rencontres du cinéma marocain), et plus largement l’Afrique (Africlap) ont leur vitrine cinématographique dans la Ville rose. Sans compter les festivals pluridisciplinaires qui ont aussi de belles programmations de films comme Made in Asia. « Le cinéma reste un miroir indispensable pour montrer une culture. Toute cette diversité permet de prendre l’air. C’est tellement agréable de découvrir des types de films auxquels nous ne sommes pas habitués, loin de tout formatage », se réjouit Franck Loiret. Et le plus fou, c’est que cela ne s’arrête pas.
LE CINÉMA EST UNE FÊTE
Des nouveaux venus continuent à émerger, à l’image du Festival du film coréen de Toulouse, né en avril 2023. Une initiative lancée par Lisa Rossi au sein de l’Association franco-coréenne de Toulouse. « Tout est parti d’une envie de spectatrice. Je suis passionnée de cinéma coréen depuis longtemps, je me rends régulièrement au festival parisien et je me suis dit que ce serait bien de faire la même chose à Toulouse. J’ai proposé l’idée à l’association à laquelle j’adhère depuis trois ans et je me suis retrouvé à chapeauter tout ça, sans rien y connaître », avoue la responsable de ce tout récent festival. Trouver un lieu (en l’occurrence le Cratère, salle du quartier Saint-Michel), nouer des contacts avec le centre culturel coréen, construire une programmation, jongler avec les coûts exorbitants des droits de distribution et des sous-titrages, arriver à trouver des films de patrimoine remastérisés… Malgré les nombreuses obstacles inhérents à la création d’un festival de cinéma, la première édition fut un succès. Elle a rassemblé non seulement des cinéphiles avertis, des curieux alertés par le succès mondial du film Parasite ainsi qu’un public plus jeune, sensibilisé à la hype coréenne via les séries ou la K-pop. « Nous avons bien sûr misé sur les facettes les plus évidentes du soft power coréen actuel mais l’idée est aussi de sortir des sentiers battus en programmant des films d’auteurs moins connus pour montrer toute la richesse de ce cinéma. Ce n’est pas facile mais on essaie avec les moyens du bord, en complets amateurs », explique Lisa Rossi, en plein préparatifs de la deuxième édition. Il faut dire qu’un si grand nombre de festivals ne va pas sans son lot de difficultés pour chacun. Mais si beaucoup « tirent la langue sur le plan économique, les festivals ont un véritable avenir devant eux » selon Franck Loiret. « La période Covid a été un accélérateur de renouvellement du public. À la Cinémathèque, 2023 a été une année exceptionnelle et on sent partout un besoin très fort de convivialité. Tout ce qui se passe autour de la salle, comme rester boire un coup, discuter ou rencontrer un cinéaste après un film, est très important », ajoute-t-il. Il ne faut en effet jamais oublier que dans festival, il y a fête.