LE CINÉMA TOULOUSAIN :
de la ville à l’écran
[CLUTCH AUX ARCHIVES] Article publié dans Clutch#61 (mars 2018)
Les Toulousains aiment le cinéma. Question entrées en salle, la ville rose est la troisième métropole cinéphile de France. Mais quid du cinéma toulousain ? Les Toulousains sont-il aussi des cinéastes ? Tour d’horizon non exhaustif des structures, des associations et des artistes qui contribuent à inscrire la ville dans le paysage du cinéma français…
| Gilles Rolland
On se souvient de la place du Capitole transformée pour les besoins du film D’Artagnan de Peter Hyams au début des années 2000 (et on s’en souvient avec émotion d’ailleurs : le rédac chef y était, tout jeune, costumé en garde royal). Des cinéastes comme Dominik Moll (Lemming), Louis Malle (Milou en mai) ou encore Christophe Honoré (17 fois Cécile Cassard) ont aussi posé leurs caméras dans nos rues. Toulouse attire les tournages : c’est indéniable, la ville possède une aura certaine. Le Bureau des Tournages, de l’agence d’attractivité de Toulouse Métropole, travaille d’ailleurs dans ce sens en proposant ses services aux productions désireuses de tourner en ville. Entre repérages, demandes d’autorisations ou mises en relation, cette entité créée en 2006 s’est donnée pour but de faire de Toulouse une terre de tournages, comme l’explique Isabel Birbes, la chargée de projet : « le cinéma toulousain ne demande qu’à se développer. La ville compte de nombreuses écoles dans l’audiovisuel, des techniciens compétents, scénaristes, acteurs, réalisateurs… Et possède de très beaux atouts, son histoire, son architecture, mais également sa position stratégique. Nous travaillons pour promouvoir Toulouse dans l’audiovisuel, afin que les sociétés de production y posent leurs caméras ».
Pour autant, le fait que Toulouse constitue un décor attractif pour les films ne doit pas faire oublier qu’elle abrite également une réserve particulièrement vivace de talents. En termes de production, l’APIAMP (Association des Producteurs Indépendants Audiovisuels de Midi-Pyrénées) se montre par exemple incontournable, tant elle réunit des personnes désireuses de faire du cinéma à Toulouse. L’un de ses membres, Pascal Bonnet, producteur pour la société Les Films du Sud, souligne les difficultés à surmonter quand on entend se lancer, en rappelant au passage que la faillite de la télé locale TLT a mis en péril un dispositif de production qui a permis, entre 2010 et 2013, de donner naissance à plus de 80 films : « l’arrivée de Via Occitanie pourrait bouleverser les choses, mais la participation de cette dernière à la création audiovisuelle est liée à l’hypothétique signature d’un Contrat d’Objectif et de Moyens, spécifiquement ciblé sur la création, avec la Région Occitanie. Un COM triennal Région Occitanie/Via Occitanie a bien déjà été signé mais il ne concerne que le fonctionnement de la chaîne… ».
Des complexités économiques qui ne l’empêchent toutefois pas de rappeler son attachement à Toulouse : « nous avons choisi de rester ancrés dans notre région, et c’est d’ici que nous partons pour filmer le monde. L’avantage d’être à Toulouse, une ville à taille humaine est d’avoir accès à un vivier de talents assez important, formés par les écoles de notre région ; notamment l’ENSAV ».
LE MOTEUR ENSAV
L’ENSAV (ancienne ESAV) soit l’une des trois écoles de cinéma en France, tient effectivement un rôle central dans cette dynamique. L’École Nationale Supérieure d’Audiovisuel a par exemple formé Éric Valette, le réalisateur de La Proie et du polar Le Serpent aux Mille Coupures. Le cinéaste se souvient : « c’était à mon époque une école qui disposait de matériel de tournage et de post-production et où la théorie était toujours couplée avec la technique. Ce qui en faisait un laboratoire créatif assez bouillonnant. Les élèves avaient une grande marge d’initiative dans leur parcours, donc il fallait savoir se prendre en main mais j’en garde de très bons souvenirs ».
Le réalisateur Paul Lacoste, enseignant à l’école, met quant à lui aussi en valeur la propension de l’ENSAV à apprendre aux étudiants tous les métiers du cinéma : « nous formons des cinéastes et des techniciens. C’est une chance inouïe d’avoir une école de cinéma en dehors de Paris. En plus, elle est gratuite ». Réalisateur d’Entre les Bras, documentaire consacré aux chefs cuisiniers Michel et Sébastien Bras, il rappelle que l’ENSAV est aussi ouverte sur le monde, notamment via des événements comme la Corrida Audiovisuelle. Le tout en déplorant d’une certaine façon que la moitié des étudiants de l’ENSAV soit ensuite amenée à « monter » à Paris pour travailler. « On espère toujours que la décentralisation va avoir lieu. Que l’on puisse initier des films ici et non pas simplement accueillir des équipes de tournage qui viennent chercher des stagiaires ».
L’EXEMPLE TAT
On l’aura compris, il n’est pas simple de faire du cinéma à Toulouse. Malgré les associations comme Ciné 2000, Kaléidos Films, ou XBO, malgré l’ENSAV, La Maison du Cinéma et les réussites de certains réalisateurs (Léa Fehner, Jean-Henri Meunier de la trilogie Najac…). Pour autant, heureusement, certains parviennent à concrétiser leurs projets. Spécialisé dans l’animation, à l’instar de La Ménagerie, un autre studio toulousain, Tat Productions est en cela un bon exemple. Réalisateur des As de la Jungle, David Alaux prend les choses avec une certaine philosophie et met en valeur l’indépendance dont il profite, en rappelant que le fait qu’il y ait très peu de structures ralenti les processus : « cela nous a pris 17 ans pour arriver à sortir notre premier long-métrage. On savait qu’en restant à Toulouse, on aurait la possibilité d’être indépendant. On peut prendre son temps. Cela nous permet de faire ce qu’on désire, soit écrire des films, les réaliser et les produire avec des gens du cru, sans jamais délocaliser ».
Au passage, David Alaux ne manque pas de rappeler le rôle prépondérant des aides de la région, qui fut présente dès la création des studios en 2000, permettant in fine de créer plusieurs emplois. Forts du succès des As des la Jungle, le réalisateur et ses collaborateurs travaillent en ce moment sur plusieurs projets, prouvant qu’il est possible, aujourd’hui, de faire du cinéma à Toulouse, sans sacrifier les ambitions ou la qualité.
Visuel : © La Fée Clutchette
TROIS QUESTIONS À… LÉA FEHNER (Réalisatrice)
Née à Toulouse, Léa Fehner a étudié le cinéma à Ciné-Sup à Nantes, puis à la Fémis. En 2009, après avoir mis en scène plusieurs courts-métrages, elle réalise Qu’un seul tienne et les autres suivront, avant de livrer, en 2016, le remarquable Les Ogres. Rencontre…
Existe-t-il une patte toulousaine en matière de cinéma ?
J’ai fait un film avec une bande de Toulousains, avec une compagnie qui venait de Toulouse, donc il y a forcément une empreinte. Les Ogres est plus toulousain que mon premier film mais en l’occurrence, c’est plus spécifique à l’histoire que je voulais raconter. Il existe malgré tout à Toulouse une ambiance un peu anar, un peu moins élitiste, plus franche du collier… Mais pour moi, c’est aussi une manière de ramasser les clichés que d’opposer ainsi Paris et la Province.
Est-ce que le fait de réaliser Les Ogres, qui peut s’entrevoir comme hommage à l’AGIT, est une façon de mettre en lumière la création locale ?
Ce film a davantage représenté un retour en enfance qu’un retour au pays. Cela dit, on a été hyper soutenus par la région Midi-Pyrénées, mais aussi par les régions Languedoc-Roussillon et Aquitaine. Mais il faut dire que presque tous les comédiens étaient toulousains. On a fait toute la préparation à Toulouse… Ce fut déterminant. Ils nous ont aidé pour que le film circule et rencontre le public. Il y a une vraie qualité d’échange et de rencontre. J’avais aussi très à cœur que les personnes et le milieu théâtral avec lequel j’ai grandi puissent s’investir. Ça m’a fait du bien de faire une partie de mes répétitions à Toulouse. Cela donne une dynamique plus collective. On a travaillé avec la Grainerie, l’IRIS et l’AGIT. On trouve peut-être ce genre de lieux un peu partout, mais à Toulouse c’est vraiment particulier. Il y a une vraie liberté.
Quelques mots sur votre prochain film ?
C’est encore un peu tôt pour en parler, mais je peux déjà dire que je vais traverser l’Atlantique…