NON-LIEU : « Nous avons travaillé à partir des 10 000 pages du dossier d’instruction »
[THÉÂTRE] Théâtre Garonne (avec le Théâtre Sorano) | du 19 au 22 nov. | theatre-sorano.fr
Le souvenir de la mort de Rémi Fraisse en 2014, tué à l’âge de 21 ans par l’explosion d’une grenade offensive à Sivens (Tarn) est encore vif ici. Aussi la création du metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka et de la cinéaste plasticienne Sima Khatami est-elle attendue. Nous les avons interviewés.
| Propos recueillis par Valérie Lassus – Photo : Simon Gosselin
Parmi toutes celles qui se terminent par un non-lieu, pourquoi avoir choisi l’affaire Rémi Fraisse ?
Olivier Coulon-Jablonka – Nous travaillons sur ce projet depuis quatre ans et demi. À l’époque, nous sortions du mouvement des Gilets jaunes. Nous suivions les suites judiciaires des affaires de victimes de violences policières. C’est là que nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas aborder l’aspect juridique de dossiers encore en cours [à cause du secret de l’instruction.] C’est alors que la Cour de cassation a rendu un non-lieu définitif dans l’affaire de la mort de Rémi Fraisse. Nous nous sommes replongés dans cette histoire que nous avions suivi à l’époque des faits.
À partir de quelles sources avez-vous travaillé cette pièce documentaire?
Sima Khatami – Nous avons d’abord collecté plusieurs éléments, en commençant par les 10 000 pages du dossier d’instruction. Nous avons aussi rencontré des témoins, la famille, des opposants, nous sommes allés sur le site à Sivens, nous avons visionné des images d’archives. Mais au final, nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur le dossier d’instruction. Comme pour un montage de film documentaire ou une sculpture, nous avons taillé dans la matière pour aboutir à 2h30 de représentation.
Le spectacle consiste à mettre le public dans la peau des juges
Comment se manifeste la dimension visuelle de votre propos ?
SK – Nous avons choisi de faire deux partie. La première se déroule durant le temps de l’enquête : elle reste ancrée sur la terre, à Sivens. La seconde est dans une sorte d’antichambre de tribunal, où se joue un dialogue entre le réquisitoire du procureur de la République et les observations des avocates de la partie civile.
OCJ – Il fallait pourtant rester dans le théâtre, même si la parole est « brute », sortie des pages d’un dossier d’instruction. Cela implique que les sept interprètes [qui jouent 30 personnages] soient concernés mais n’incarnent pas au sens propre leurs personnages. Il faut de la distance pour rester clair.
Vous dîtes faire « l’autopsie d’un non lieu », vous avancez donc des conclusions ?
OCJ – Non, on ne refait pas l’enquête, on ne conclut pas. On cherche pourquoi il n’y a pas eu de procès. Notre propos est de remonter la chaîne des responsabilités, de nous demander comment, avec ce cas-là, on arrive à un non-lieu. C’est plus une enquête sur l’enquête. Le spectacle consiste à mettre le public dans la peau des juges, pour qu’ils se posent des questions. Ils sont mis au travail en quelque sorte…
SK – Les mots sont bien ceux des juges, avocats, enquêteurs, etc. Nous nous plaçons en narrateurs objectifs, nous ne donnons pas d’avis. Les questions qui se posent sont déjà assez perturbantes. ![]()