Retraites & culture pop :
le report de l’angoisse
Il y a ceux qui refusent de raccrocher et ceux qui se retrouvent contraints de reprendre du service. On reste généralement peu de temps à la retraite dans la culture pop. Alors que le projet de réforme des retraites en France soulève les contestations populaires et les mouvements de grève depuis plusieurs mois, il fallait se poser la question : quelle retraite pour les icônes pop ?
| Baptiste Ostré
La retraite ? Plutôt crever ! D’ailleurs, c’est la même chose pour un Blade Runner, qui préfère le terme « retrait » à celui d’exécution lorsqu’il met hors service les Replicants, dans le Los Angeles cyberpunk du film de Ridley Scott (1982). Le reste du temps, la culture pop – en particulier hollywoodienne – n’a aucun scrupule à augmenter les annuités de cotisation de ses héros. C’est le paradoxe du syndrome « trop vieux pour ces conneries » de L’Arme Fatale (Richard Donner, 1987). Une réplique culte démentie de suite en suite tandis que le flic grisonnant Roger Murtaugh (Danny Glover) ne cesse de repousser son pot de départ – il se murmure encore de temps à autre que son duo avec Mel Gibson pourrait se reformer pour une cinquième aventure.
Macron et son gouvernement ne sont donc pas les seuls à vouloir faire turbiner les travailleurs plus longtemps. Pourtant, ce n’est qu’à de rares exceptions que la question a servi de véritable moteur à une histoire. On se souvient principalement du magistral Mammuth, et son Depardieu cheveux au vent sur sa moto, ouvrier parcourant les routes de campagne du pays pour récupérer des fiches de paie indispensables pour calculer ses droits à la retraite. Mélange d’humour anar, de vista punk et de poésie sociale, ce road-movie mélancolique du duo grolandais Delépine & Kervern est toujours d’une actualité brûlante, d’autant plus à l’heure où le recul de l’âge de départ cristallise les tensions sociales. Normal : c’est peut-être le seul à faire de la retraite son sujet de fond et non un simple outil narratif. La plupart du temps, la retraite n’est en effet qu’un prétexte scénaristique, ressort d’écriture bien commode (qui a dit flemmard ?) pour justifier de lancer l’action et offrir un but à l’existence des personnages.
Résultat : elle n’est guère vécue comme une promesse d’épanouissement personnel ou une libération des contraintes de la vie active. Au mieux, elle est un vague espoir, fatalement déçu. Pensée pour l’inspecteur Somerset (Morgan Freeman) de Se7en, lessivé par des années d’enquêtes sordides, dont la pénible carrière se termine par sept jours en enfer. Pour d’autres, elle ne sera jamais qu’une pause, plus ou moins longue, avant de reprendre du service de gré ou de force. De la saga Taken aux deux films Red, de Harry Brown à Indiana Jones, on ne compte plus les personnages qui, après avoir vainement tenté de raccrocher, retournent au turbin suite à un étrange coup du destin. Comme, à tout hasard, la mort d’un chien, qui sort le tueur à gage rangé-des-affaires John Wick (Keanu Reeves) de sa retraite dans un premier film suivi de quatre suites.
CARRIERE LONGUE
C’est un anti-héros à la retraite contrariée dont le modèle reste le cowboy vengeur d‘Impitoyable, western crépusculaire terminal dans lequel Clint Eastwood expie son passé de tueur sanguinaire dans une vie de fermier rapidement avortée. Une quête de rédemption (impossible) dont l’acteur et réalisateur reprendra l’étude avec le retraité renfrogné de Gran Torino ou celui de The Mule, inspiré par la véritable histoire d’un papy précaire de 90 ans devenu passeur pour un cartel mexicain afin d’éponger ses dettes.
Au préalable, c’est un autre acteur-réalisateur qui aura donné au gouffre existentiel, qui s’ouvre au soir d’une vie professionnelle, sa plus bouleversante incarnation. En adaptant le roman allemand La Promesse, Sean Penn offrait à Jack Nicholson la dernière composition majeure de sa carrière. Dans The Pledge, il joue un flic retraité de frais, s’obsédant pour une affaire jusqu’à en perdre la raison. En un seul panoramique flouté lors de sa soirée de départ, métaphore du vacillement de son héros, le film encapsulait le vertige que représente un tel changement, pour ceux dévoués corps et âmes à leur travail. Si Jerry Black est obnubilé par une affaire pourtant résolue – a priori, s’entend -, ce n’est pas tant en raison de son serment à la famille d’une victime (la « promesse » du titre) que parce qu’il ne peut s’imaginer autrement que comme un enquêteur.
C’est le drame de celui qui s’accroche coûte que coûte, refuse de céder sa place ou de passer la main. C’est Logan Roy, titan régnant sur un empire médiatique que même un AVC n’empêche de conserver jalousement le pouvoir. Au grand regret de ses rejetons, gosses de riches inconséquents voire carrément psychopathes. Phénoménale série HBO, Succession modernise en quatre saisons la tragédie shakespearienne du Roi Lear qui, au déclin de sa vie, tente de répartir son royaume entre ses trois filles. Car au temps de la retraite correspond celui de la transmission, tel le Zorro vieillissant Anthony Hopkins enseignant au jeune Antonio Banderas l’art de signer son nom à la pointe de l’épée, dans Le Masque de Zorro (Martin Campbell, 1998), ou Tommy Lee Jones dans Men in Black, trouvant en Will Smith un remplaçant à former avant de tirer un trait sur sa carrière d’agent en noir.
PROFESSION : RETRAITE
Une notion d’héritage que certains ne sont pourtant pas prêts de partager, ou alors en toute petite partie. Ainsi, si la tête brûlée Maverick accepte de transmettre son savoir à de nouvelles recrues dans la suite de Top Gun, pas question pour autant de sagement rester dans le rôle du mentor. A 50 ans passés, c’est toujours Tom Cruise qui, in fine, demeure le patron et le plus casse-cou de la patrouille. Au fond, le film de Joseph Kosinski renouvelle la figure du vétéran sportif, remontant sur le ring pour un dernier combat, tel le Rocky Balboa qui signera la résurrection au box office de Sylvester Stallone en 2006.
Pas facile en effet pour les héros d’hier d’accepter l’inévitable déclin voire la mise au ban du monde que peut, pour certains, signifier la retraite. C’est la leçon de vie de Youth de Paolo Sorrentino, dans lequel Michael Caine (le retraité forcé de reprendre du service) et Harvey Keitel (celui qui refuse de raccrocher) méditent sur le passé, la jeunesse envolée et la mort qui se rapproche. De là à affirmer que s’arrêter de travailler équivaut à se laisser lentement dépérir, il n’y a qu’un pas… En partie franchi par la série The Old Man, dans lequel un ex-agent de la CIA reprend les armes suite à une tentative de meurtre. Terriblement usé par le poids des ans dans le premier épisode, le (futur ex-)retraité Jeff Bridges reprend du poil de la bête par la suite. Les meilleurs moments de The Old Man sont toutefois ceux qui travaillent les limites de cette chasse entre vieillards, dans des séquences brutales où les corps s’essoufflent et les réflexes de jeunesse se perdent.
A croire, ceci dit, qu’il faudrait rester actif jusqu’à la tombe. Vision pour le moins désespérante de notre passage sur Terre, selon laquelle ne plus être productif équivaut à ne plus avoir de place dans la société. Heureusement, 25 ans avant The Old Man, le même Jeff Bridges avait montré qu’une autre voie était possible. En 1998, dans le film culte des frères Coen, The Big Lebowski, il personnifiait plus qu’un chômeur baba cool et fainéant. The Dude, c’est le prototype du pré-retraité qui a délibérément mis de côté le stress de l’emploi et la pression du statut social pour profiter des plaisirs simples de l’existence, comme le bowling et les russes blancs. Et si, de tous les exemples cités ici, c’était lui, le plus fidèle au sens même du mot « retraite » ?