[ÉTAT DES LIEUX]
La Cartoucherie :
quartier général !

En octobre, Clutch prends le pouls d’un quartier de Toulouse. Avec l’ouverture en fanfare des Halles, celui de la Cartoucherie était tout indiqué cette année. L’occasion de sonder la fascinante transformation en cours d’une friche industrielle en un laboratoire de la ville de demain.

| Nicolas Mathé

Depuis que les premiers immeubles sont sortis de terre vers 2015, il y a comme un malentendu entre ce tout nouveau quartier de la Cartoucherie et les Toulousains. Depuis le périphérique, il est vrai que cette vision d’une forêt de barres hautes, dont certaines jugées d’un goût discutable, correspond mal à l’image de l’écoquartier idéal présenté depuis plus d’une décennie. Des critiques à mettre certainement en rapport avec l’ampleur et l’aspect inédit du projet. Il faut en effet imaginer qu’il y a un peu plus de 100 ans, 14 000 personnes travaillaient au chargement de cartouches sur ce terrain qui avait été encore un siècle plus tôt une zone d’essais militaires. Surtout, « il faut avoir conscience que c’était la dernière fois qu’une telle opportunité d’aménagement urbain se présentait à Toulouse, un terrain de 33 hectares aussi proche du centre-ville, il fallait en faire en quelque chose d’emblématique », expliquait en 2017 Régis Godec, élu écologiste en charge du projet durant le mandat de Pierre Cohen, entre 2008 et 2014.
C’est notamment sous l’impulsion de ce dernier que la ZAC de la Cartoucherie, initiée en 2005 sous la première mandature de Jean-Luc Moudenc, va prendre une nouvelle dimension. Entre 2008 et 2009, un forum de concertation impliquant les riverains aboutit à l’idée de parkings silos pour réduire la place de la voiture, à la connexion au réseau de chaleur de l’incinérateur du Mirail ou à la mise en place d’un système de récupération de l’eau pluviale. C’est à ce moment là aussi qu’est ajoutée la dimension d’habitat participatif et le principe de mêler dans chaque îlot un promoteur privé et un bailleur social. Le terme d’écoquartier apparaît tout comme la promesse d’expérimenter « une nouvelle façon de vivre en ville ».


Un terrain de 33 hectares au coeur de la ville, c’était la dernière fois qu’une telle opportunité d’aménagement urbain se présentait

Autant d’aspects pas forcément visibles extérieurement mais qui sont bel et bien présents aujourd’hui. Alors que les grues se font actuellement moins omniprésentes, même si la tranche 3 du quartier reste encore à réaliser, et que la végétation a pris un peu de ses droits, s’engouffrer dans la Cartoucherie permet ainsi d’apprécier ses rues aérées avec ses larges trottoirs. Et bien évidemment, comme attendu depuis tant d’années, l’ouverture des Halles a complètement transfiguré les perspectives du quartier, désormais plus fidèle aux cartes postales initiales avec sa grande place centrale munie de fontaines à eaux et de jeux pour enfants. « Quand les gens ne connaissent pas le quartier, ils sont effrayés mais dès qu’ils y viennent, ils sont surpris et changent d’avis. Il s’est créé ici une vie de village avec plein d’événements festifs, tout le monde se connaît, chaque résidence a sa conversation Whats’app. C’est une atmosphère géniale, même si avec les Halles, nous allons devoir apprendre à vivre avec des gens de passage », confie Eric Duchemin, président du comité de quartier arrivé il y a deux ans d’île de France en quête d’une vie plus agréable. Comme lui, nombreux sont les habitants venus s’installer à la Cartoucherie précisément en raison de son aspect novateur. « La plupart des gens ont choisi d’habiter ici et ça se ressent dans leur implication au quotidien, ils se préoccupent véritablement du lieu où ils vivent », appuie Camille Schneller, coprésidente de la Cartouthèque, association d’habitants du quartier qui se veut un espace d’entraide, d’émancipation et de partage pour vivre mieux et durablement. « Nous proposons une bibliothèque d’objets, notamment de bricolage, des ateliers de réparation ainsi que des événements pour apprendre à faire. Autant d’occasions de se rencontrer et de créer des liens. Nous sommes sur un site où il y a tout à construire à partir d’un patrimoine industriel, c’est ça qui est passionnant », lance-t-elle.

AUX ARMES CITOYENS !

Dense en terme de population, environ 6 500 habitants à ce jour (aux alentours de 10 000 à l’issue des travaux de la dernière tranche), la Cartoucherie l’est aussi en nombre d’initiatives œuvrant dans les champs de l’économie circulaire, de la transition écologique et de la coopération. Outre la Cartouthèque, le quartier abrite aussi la ressourcerie Cartoucirc, l’association Les Munitionnettes (voir encadré) ou encore la coopérative Abricoop, unanimement citée comme un véritable moteur de la vie du quartier. Pas étonnant lorsque l’on sait le pari fou dans lequel se sont lancés les membres de cette coopérative d’habitants. En plus d’avoir été collectivement les maîtres d’œuvre de leur immeuble qui fait partie des quatre bâtiments composant l’îlot dédié à l’habitat participatif, ils sont aujourd’hui à la fois associés-coopérateurs et locataires des logements, dont la coopérative est propriétaire. Un système vertueux qui permet de mettre en place des loyers reflétant le coût réel d’exploitation de l’immeuble tout en luttant contre la spéculation immobilière. « Ce fut un très long processus et après plus de 5 ans d’installation, je crois que personne n’aurait imaginé que ça se passe aussi bien. Dans l’îlot comme dans le quartier, il y a énormément de liens qui se sont tissés », résume Chloé Favre, l’une des membres d’Abricoop. Preuve du succès de l’entreprise, aucun habitant n’a quitté son logement depuis le début de l’aventure.

Parties prenantes de la vie de quartier, ces habitants sont d’autant plus vigilants sur son avenir et lucides sur ses manques. Tous ont en tête les écueils de Borderouge, exemple similaire de quartier sorti récemment de terre. Place encore trop importante accordée à la voiture et au bitume, incivilités… Ils n’hésitent pas à peser auprès de la mairie et d’Oppidea, l’opérateur de la ZAC, pour faire évoluer les choses dans le bon sens. Le comité de quartier a même créé une carte interactive pour signaler en temps réel aux services municipaux les problèmes détectés. De vraies tensions subsistent, comme l’a prouvée la mobilisation portée par le collectif Horizon Cartoucherie contre la requalification en activité économique d’une parcelle prévue à l’origine pour accueillir des équipements publics. La mixité est également un sujet d’interrogation. « Nous voyons bien à travers les événements organisés que nous avons eu du mal à atteindre les habitants des logements sociaux. Globalement, la plupart des gens qui se sont installés ici ont un certain pouvoir d’achat. Notre objectif est d’avoir une réelle mixité », explique Eric Duchemin. « Nous sommes ravis de l’ouverture des Halles mais elles ne vont pas tout résoudre et on peut se demander si l’offre correspond à tous les habitants. L’aménageur ne voit que sa Zac, or il ne faut pas oublier que le quartier s’intègre dans un tissu urbain », souligne Chloé Favre. Ainsi, au-delà des espoirs et des craintes, expérimenter la ville de demain, c’est aussi questionner sa capacité à rester populaire.

ZICO ZILO, festival participatif

Symbole de l’esprit des lieux, Zico Zilo est un festival de musique organisé par et pour les habitants de la Cartoucherie. Durant les mois de juin, juillet et septembre, les bénévoles de l’association choisissent la programmation et font venir des artistes qui se produisent à différents endroits, au sein des résidences ou sur les places. | helloasso.com/associations/festival-zicozilo

LES MUNITIONNETTES, pour l’autonomie des femmes

C’est un petit espace de 46m2 situé à l’étage des Halles de la Cartoucherie qui abrite tout un écosystème destiné à l’émancipation des femmes en difficulté. Un lieu hybride qui comprend une friperie éclectique et solidaire, un bar à beauté et un bar à couture. « Avant de penser à retourner vers l’emploi, il y a tout un travail préparatoire pour reprendre confiance, c’est ce qu’on fait ici », explique Zakia Rabi, la fondatrice de l’association pour qui la présence au sein de ce quartier donne un véritable sens à son action. « Les Munitionnettes, ça renvoie au premier emploi salarié des femmes à l’époque et donc à leur autonomie financière ».