Répondant à un appel, Clutch tente ce mois-ci de saisir l’inexplicable en s’attaquant à l’ésotérisme. Une pratique devenue phénomène de société qui n’en conserve pas moins ses mystères. Et qui n’épargne pas Toulouse.
| Nicolas Mathé
Sur le papier c’était une bonne idée. Dans les discussions entre amis, dans les publications qui se multiplient ou encore dans les propositions artistiques qui nous arrivent, comme celles de Celine Gelis, on a bien senti le sujet se populariser d’années en années, et qu’à ce titre, il méritait qu’on s’y intéresse de plus près. Mais se plonger véritablement dans l’univers de l’ésotérisme, c’est une toute autre histoire, surtout lorsque l’on est doté d’un tempérament désespérément hermétique à ce qui n’est pas palpable concrètement. Premier réflexe donc : essayer de cerner ce terme au pouvoir fantasmagorique étonnant et aux contours mouvants. Et force est de constater que les choses se compliquent d’entrée de jeu : si à l’origine, il désigne l’ensemble des enseignements secrets réservés à des initiés, son sens varie selon les époques. Ces dernières décennies par exemple, la culture populaire s’en est emparée pour parler de courants de pensée à composante étrange comme l’occultisme, le paranormal, la magie… De même, il y a bien les grands principes comme la correspondance entre toutes les parties de l’univers (homme, animal, nature…), l’expérience de transmutation intérieure (sagesse, illumination) ou encore la transmission de maître à disciple. Mais la forme contemporaine de l’ésotérisme, englobée dans ce que l’on appelle « les nouvelles spiritualités », paraît bien éloignée des sociétés secrètes d’antan.
Pour y voir plus clair sur le phénomène, autant se diriger vers une des plus anciennes librairies ésotériques toulousaines, en place depuis plus de trente ans. L’Heure Bleue, devenue Axel Ange, est aujourd’hui une boutique qui compte autant de livres que de produits divers et variés : minéraux, tarots, oracles, cartes divinatoires ou de méditation, bougies, pendules… Ancienne cliente de la librairie, c’est Valérie Michel qui a repris l’affaire en 2004 et l’a diversifiée petit à petit pour correspondre à l’évolution des demandes de la clientèle, contrairement à quelques autres illustres enseignes du même genre à Toulouse qui ont fermé leurs portes entre temps. « D’un côté, les gens lisent de moins en moins, et de l’autre, on a assisté ces 20 dernières années à un essor considérable du développement personnel qui aboutit souvent à une quête de spiritualité. Il a fallu s’adapter », explique la gérante. Confirmant au passage l’immense accointance qui existe de nos jours entre l’ésotérisme et le développement personnel. Mais recherche de bien être ne veut pas forcément dire évasion, précise Valérie Michel : « On sent une envie d’être mieux présent au monde dans une société qui voue un culte à la performance. Parmi ma clientèle, il y a beaucoup de burn-out, de gens qui cherchent une autre voie pour retrouver un équilibre. Ce n’est pas un phénomène de mode, il y a une profondeur dans tout ça ». Dans ce type de commerce pas tout à fait comme les autres, c’est plus que jamais le conseil qui permet à Axel Ange de rester debout face à de nouveaux acteurs qui n’ont pas tardé à se ruer sur ce nouveau marché florissant. À l’image d’enseignes comme la Fnac ou Cultura qui se sont engouffrés sur ce créneau, mais aussi désormais de Te Ora, grande surface spécialisée pêle-mêle dans le bio, le bien-être et le développement personnel, installée dans la zone commerciale de Portet-sur-Garonne.
CACHE MYSTÈRE
Beaucoup plus intimiste, Mintaka & Co est un nouveau genre de lieu qui témoigne de l’acceptation moderne de l’ésotérisme. Ouvert en 2022 en centre-ville, ce café-boutique d’inspiration magique se veut un espace d’exploration dédié à la connaissance de soi. « À partir de mon expérience personnelle, j’ai réalisé qu’on pouvait se sentir seul sur ce chemin qui consiste à nouer des liens avec une partie invisible du monde pour être plus en harmonie avec soi-même. L’entourage peut ne pas être sensible, voire réfractaire. On peut aussi se perdre dans la jungle des ressources en ligne. J’ai donc voulu créer un espace où se tissent des rapports humains, notamment à travers les événements que nous organisons avec des intervenants professionnels », explique Aurélie Perez, ancienne office manager dans un espace de coworking à l’origine du projet. Au sein d’un univers très cocooning, on trouve ici aussi tous les outils d’introspection inhérents à cette quête de spiritualité. Dont tout un tas d’objets qui se réfèrent à un certain imaginaire récent du féminisme. C’est notamment la figure de la sorcière qui occupe une place centrale dans cette galaxie et fait office de pont avec l’ésotérisme. Grâce bien sûr au travail de Mona Chollet, essayiste au succès retentissant qui en a fait un symbole énigmatique d’émancipation. Numérologie, astrologie, lithothérapie (le pouvoir des pierres), cycle lunaire… Dans un monde en crise dénué de sens, toutes ces « para-sciences » connaissent un vif succès… Tout en entretenant un certain flou artistique. Ainsi devenu ordinaire, le discours ésotérique ne serait-il pas privé de son caractère étrange ? N’y aurait-il pas autre chose de plus puissant et subversif au delà de la tendance à privilégier la résolution de ses problèmes au détriment de la recherche de connaissances cachées ?
C’est la conviction d’Eric Coulon, sorte de gardien du temple. Ancien enseignant en philosophie, il a fondé à Toulouse l’Université libre de la connaissance, structure qui organise des conférences et des colloques pour promouvoir la reconnaissance de l’esprit et du mystère. « Nous ne sommes pas un cercle ésotérique et nous n’avons pas de doctrine. Il s’agit d’une initiative de transmission pour montrer qu’il y a autre chose qui existe », assure-t-il. Dans une époque caractérisée par « les évidences pragmatiques, les devoirs utilitaires, les valeurs marchandes et l’écrasement matérialiste », Eric Coulon, regrette que l’ésotérisme soit aujourd’hui un vaste fourre-tout : « Il y a une profonde demande. Personne ne peut supporter un monde qui a le pouvoir d’achat comme seul horizon. Mais cette demande est aveugle et chaotique, c’est une quête égoïste de confort dans son quotidien, on ne remet rien en question ». Pour lui, l’enjeu est ailleurs ; dans la volonté de se transformer véritablement pour trouver une ouverture vers un autre point d’appui. En résumé, chercher la transcendance en s’éveillant à des principes comme l’interdépendance universelle ou le fait que chaque chose ou événement ait une signification symbolique. Au croisement du spirituel, de l’intellectuel, du métaphysique, de la raison, de la sensibilité, le mystère serait source d’émancipation pour l’individu face aux institutions. Mais on est visiblement encore loin du compte. « S’intéresser à ces questions peut rendre fou et on croise effectivement dans ces sphères tout un tas d’hurluberlus, voire de dérives sectaires. Ce qui fait que malgré l’essor qu’il connaît, le mot ésotérisme prête encore à rire. C’est regrettable car il s’agit d’une tradition ancienne sur laquelle des gens très sérieux se sont penchés », déplore Eric Coulon. Entre les sectes et les marchands, il y a peut-être tout de même une place pour l’ésotérisme.
LE TOULOUSE ÉSOTÉRIQUE
Ne comptez pas sur nous pour révéler les secrets de Toulouse ! Mais ce n’est pas un mystère de dire que les hauts lieux ésotériques de la ville concernent évidemment ses bâtiments sacrés, forcément conçus en dehors de toute considération pragmatique. La basilique Saint-Sernin, avec son lac souterrain qui abriterait peut-être un trésor celtique, la basilique Notre- Dame de la Daurade et sa vierge noire ou encore la cathédrale Saint- Etienne sont notamment des lieux particulièrement chargés d’énergie.