[ÉTAT DES LIEUX]
10 ans de culture à Toulouse :
les souvenirs d’une ville !

Une décennie que Clutch regarde le monde de la culture bouger à Toulouse. Cela méritait bien un coup d’œil dans le rétro pour faire un état des lieux, forcément non exhaustif, de ce qui s’est passé entre 2012 et 2022. De regrettés disparus, des nouveaux venus et des indéboulonnables…
La vie quoi !

| Nicolas Mathé

En ce temps là, le spationaute japonais Akihiko Hoshida immortalisait le phénomène naissant du selfie en se prenant en photo depuis l’espace et Facebook, de loin le plus puissant des réseaux sociaux, atteignait le milliard d’utilisateurs. De quoi mesurer la relativité du temps qui passe ! Nous sommes en septembre 2012, la France vient d’élire un président de gauche (qui a toussé ?) et, pour avoir une idée de la vie culturelle de l’époque à Toulouse, il faut désormais lire Clutch. Dès les premiers magazines, le jeu des différences avec le paysage de septembre 2022 saute aux yeux. Dans les pages concerts, la Dynamo, le Saint des Seins ou l’Inox sont incontournables. Autant de lieux qui n’existent plus aujourd’hui ou qui ont cessé leur activité musicale. Se replonger dans les débuts de Clutch, c’est ainsi réaliser à quel point la culture, et en particulier le secteur de la musique, est un écosystème en perpétuel mouvement, à l’équilibre fragile, voire précaire. Dans le numéro 2, on apprend par exemple que le Mandala est en danger. L’historique jazz club toulousain tiendra encore quelques temps avant de mettre la clé sous la porte. Pour le Bijou, c’est une autre histoire qui commence avec un passage de témoin tout en douceur de la part du fondateur Philippe Pagès et du côté de Gabriel Péri, le Connexion entame son tournant live avec un succès ininterrompu depuis.

RECOMPOSITION DU PAYSAGE MUSICAL

Si la chronique des lieux disparus provoque un petit pincement au cœur, ce retour sur ces 10 dernières années permet de constater qu’il existe, à Toulouse, une étonnante capacité de régénération. Alors que la fin de la Dynamo priva de nombreux artistes locaux d’un espace de développement, comme elle le fut pour des certains Big Flo et Oli (dont, au passage, les visages juvéniles apparaissaient pour la première fois dans le magazine en janvier 2013, à l’occasion du festival Détours de chant), aujourd’hui on peut se féliciter de l’ouverture récente de l’Ecluse Saint-Pierre, qui s’évertue à remplir le même rôle. Et entre temps, le Metronum, équipement municipal inauguré en janvier 2014, a apporté un type de salle qui manquait à Toulouse dans un quartier de Borderouge en pleine urbanisation. Même si un certain flou règne à l’heure actuelle sur son avenir. De même, le Taquin, ouvert en 2016 par une bande de passionnés, en lieu et place du Mandala, pour perpétuer la tradition de jazz, est un magnifique exemple de renaissance. Sans oublier le Rex, qui a profité de cette période pour se refaire une beauté et (re)devenir une belle salle de concert.

ASSOCIATIONS DE BIENFAITEURS

L’un des faits marquants de cette période 2012-2022, c’est aussi le bouillonnement associatif. En décembre 2014, Clutch faisait remarquer que de nombreuses structures qui faisaient bouger la ville fêtaient ou approchaient leur 10 ans d’existence, comme Progrès-Son, Vandal Crew, Too Loose Punkers, Kalakuta, Jerkov, Regarts ou encore l’imprimerie Sergent Papers. Toutes nées en réaction au relatif endormissement que subissait la ville au début des années 2000, ces assos ajoutaient à leurs activités respectives un aspect collectif symbolisé par l’Intercollectifs. Aujourd’hui, à l’image de Progrès-Son, qui avait tout de même réussi à créer un joli festival de rock (La Semaine du Rock) à Toulouse, certaines ont fini par s’essouffler tandis que d’autres sont apparues.

On pense notamment à Talowa, à l’origine des désormais célèbres Toulouse Dub Club qui font carton plein dans un Bikini toujours au top de sa forme. Symbole de cette agitation festive, l’année 2012 fut aussi celle du grand retour du Carnaval dans les rues de Toulouse, après plus de 20 ans d’absence.

Ces 10 dernières années permettent de constater qu’il existe, à Toulouse, un étonnante capacité de régénération

LA VALSE DES FESTIVALS

Au rayon des festivals, c’est la Novela, qui attire les regards dans cette première moitié des années 2010. Grand rendez-vous de culture scientifique mis en place par l’ancien maire Pierre Cohen, la manifestation ne survivra pas au changement de municipalité en 2014 et cessera ses activités l’année suivante. Créé en 2011 par les équipes du Bikini et de Bleu Citron, le Weekend des Curiosités, lui, monte en puissance d’année en année et espère devenir le grand événement de musiques actuelles qui manque à l’agglomération toulousaine, avant que la pandémie de Covid-19 ne le force à réduire un peu la voilure. Désormais, c’est le Rose Festival, imaginé par Big Flo et Oli et dont la première édition a eu lieu en ce mois de septembre, qui reprend à son compte cette ambition. Un autre festival n’a carrément pas survécu à la pandémie. Traditionnel rendez-vous estival et municipal permettant à de nombreux groupes locaux de se produire, Toulouse d’été a été remplacé cette année par un tout nouveau Festival de Toulouse à la programmation un peu plus clinquante. Avec un succès plutôt mitigé.

THÉÂTRES ET CINÉMAS AU BEAU FIXE

S’il y a un domaine sur lequel le temps ne semble pas avoir de prise, c’est celui du théâtre. En effet, hormis la fermeture du café théâtre des Minimes en 2019 et l’ouverture récente du Studio 55, le paysage
des scènes toulousaines est peu ou prou le même qu’en 2012. On note tout de même, depuis, l’arrivée de nouvelles têtes au Sorano (Sébastien Bournac) ou au TNT, devenu Théâtre de la Cité (Galin Stoev), ainsi que d’un grand événement rassemblant une trentaine de structures de l’agglomération, La Biennale des Arts Vivants en 2019, démontrant toute la solidarité qui règne au sein des théâtres toulousains (voir p.72). Pas de gros bouleversements non plus dans les salles obscures de la ville durant ces 10 dernières années. Mais plutôt une continuité : l’Utopia du centre-ville est devenu l’American Cosmograph en 2016 tandis que l’UGC, parti des allées Jean-Jaurès en 2019, a trouvé un nouveau point de chute à Montaudran deux ans plus tard. Dans ce domaine, on se réjouit de l’ouverture toute fraîche de la Forêt électrique, ambitieux projet qui regroupe une salle de cinéma, un café, des ateliers de création ou encore un studio de tournage dans le quartier Bonnefoy. De quoi montrer que, malgré la concurrence des désormais puissantes plateformes de streaming, Toulouse demeure une ville de cinéma, réputée pour ses festivals (une trentaine au total, dont le petit dernier apparu en 2020, le Grindhouse Paradise, dédié au cinéma fantastique).

UNE DÉCENNIE DE GRANDS ÉQUIPEMENTS

Si l’on devait retenir un événement culturel de ces dix dernières années, ce serait sans doute la majestueuse et poétique déambulation du Minotaure et de sa comparse l’araignée durant quatre jours dans les rues bondées de Toulouse, en novembre 2018. Un spectacle magique et populaire pour fêter le grand retour en ville de la Compagnie de la Machine et l’ouverture de La Halle de la Machine, à Montaudran. Un nouvel équipement culturel aussi atypique que fascinant venu s’ajouter dans le panorama culturel local à un autre lieu d’envergure sorti de terre quelques années plus tôt, le Quai des Savoirs. Inauguré en février 2016, ce nouveau temple de la culture scientifique a rapidement trouvé sa place avec des expositions événements conçues pour attiser la curiosité du grand public. Dans un autre genre, le MEETT, a également vu le jour, un gigantesque parc des expos qui accueille, entre autres, des événements culturels comme le Rose Festival. Bref, une période propice aux grands équipements sans compter l’arrivée prochaine de la Halle de la Cartoucherie, espace protéiforme qui abritera plusieurs activités culturelles (salle de spectacles, cinéma…).

Observer l’évolution culturelle de Toulouse, c’est aussi constater les mutations urbaines

10 ANS DE SALE TEMPS

Bien évidemment (et en assumant complètement le jeu de mot facile), tout n’a pas été rose dans le monde culturel depuis 2012. Notamment en ce qui concerne certains lieux municipaux dédiés à l’art. On pense par exemple à l’Espace Croix-Baragnon, vendu par la Mairie en 2018, mais dont l’activité se poursuit à travers le Centre d’Art Nomade. Ainsi qu’au Château d’eau, historique pôle photographique géré depuis les années 80 par l’association PACE que la municipalité a décidé d’évincer à travers un passage en délégation de service public. Ou encore au MATOU, musée ouvert en 2017 afin de redynamiser le vieillissant Centre de l’affiche mais dont l’activité s’est rapidement interrompue dans la plus grande discrétion. Parmi les gros points noirs de la période, impossible de ne pas évoquer cette triste séquence de janvier 2021 qui a vu la disparition de trois lieux alternatifs emblématiques de la ville. Quelques mois après sa réélection, Jean-Luc Moudenc décidait tour à tour la fermeture du Pavillon Mazar, lieu d’expérimentation théâtrale géré par le Groupe Merci (voir p.74), de Mix’art Myrys, historique
et bouillonnant collectif d’artistes, ainsi que la destruction du Bleu Bleu, anarchique bar installé en bord de Garonne. Un nettoyage en règle caractéristique d’une certaine vision de la culture pour de nombreux acteurs locaux.

REGARDE LA VILLE CHANGER

Mais aussi une évolution quasi inéluctable générée par la densification galopante inhérente à toute grande métropole. Ainsi, observer l’évolution culturelle de Toulouse, c’est aussi constater les mutations urbaines et l’arrivée de phénomènes qui se retrouvent partout dans les villes de même taille. Il y a ainsi la dimension prise par le street art avec l’ouverture de lieux comme le 50Cinq ou l’organisation de grandes expositions éphémères dans des friches industrielles. Mais aussi à une certaine forme d’« hipsterisation » symbolisée par l’explosion des brasseries, des caves à bière et autres festivals dédiés au houblon (OctoBière, Toulouse Beer Fest…). À Toulouse, peut-être plus encore qu’ailleurs, on aime aussi particulièrement les guinguettes qui ont poussé comme des champignons depuis quelques années. Enfin, qui dit grande ville, dit également gentrification. Avec la pression démographique et l’ensemble des aspects négatifs engendrés (hausse des loyers, éloignement des classes populaires…), on constate tout de même l’émergence de bars et de cafés forts sympathiques dans des faubourgs jusqu’à présent un peu oubliés culturellement : le Café Ginette aux Minimes, le Rhino et les Merles Moqueurs à Patte d’Oie. Dans un genre encore plus engagé, on peut aussi saluer l’arrivée de l’Itinéraire-Bis, dans le quartier Marengo. Autant de lieux qui viennent compléter un paysage déjà très dense en espaces de convivialité et qui misent tous sur la musique, le théâtre, l’impro, l’art… Pour faire vivre leur quartier. C’est peut-être d’abord à ça qu’on reconnaîtra toujours la culture toulousaine.