CATHERINE LARRÈRE : sur les traces de l’écoféminisme

[RENCONTRE] Bibliothèque d’étude et du patrimoine | sam. 29 avr. | 14h30 | bibliotheque.toulouse.fr

Dans le cadre d’« On passe au vert », série d’événements organisés par la Bibliothèque de Toulouse autour de l’écologie, les Toulousains auront l’occasion de rencontrer la philosophe Catherine Larrère à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine. Un échange articulé autour de deux de ses essais, dont L’écoféminisme, paru le 20 avril. Comment allier écologie et féminisme ? Comme on a eu la chance d’échanger avec elle sur le sujet, on tente de vous aiguiller !

| Propos recueillis par Chloé Morand Bridet

Comment définiriez-vous le plus simplement l’écoféminisme ?

On peut dire que c’est une écologie féministe ou un féminisme écologiste. Ce n’est pas une doctrine comme le marxisme, mais plutôt un ensemble de pratiques et d’actions qui luttent pour les enjeux écologiques et féministes. On associe le fait que les femmes sont dominées par les hommes, comme ces derniers dominent la nature. L’écoféminisme, c’est un groupe de femmes qui changent les choses. Ça montre qu’elles sont victimes, comme la nature, mais c’est surtout un mouvement qui montre la puissance des femmes.

Pouvez-vous résumer l’apparition de ce mouvement, ses origines ?

Ce mot a été inventé par Françoise d’Eaubonne en 1974 dans Le féminisme ou la mort. C’était un lien entre la destruction écologique du capitalisme et le patriarcat. Les hommes traitent le ventre des femmes comme ils traitent la Terre, et c’est ce contre quoi elle s’érige. Les années 70 sont aussi une décennie décisive pour la libération des femmes en général (notamment avec le contrôle des naissances). C’est le début également des mouvements écologistes avec le rapport Meadows, René Dumond est le premier candidat écologiste aux Présidentielles… Les deux mouvements se croisent.

Comment expliquez-vous la condamnation « woke », voire extrémiste, du mouvement que l’on ressent parfois dans l’opinion publique ?

Ce sont des mouvements non-violents, qu’on ne peut donc pas qualifier d’extrémistes mais de radicaux, car ils retournent à la racine. Je dirais que c’est un mouvement, au contraire, plutôt contagieux. Dans les universités où je donne des conférences, tout se passe très bien, les gens s’intéressent, ont envie de comprendre. Là où le mouvement est le plus puissant et le plus répandu aujourd’hui, ça reste en Amérique Latine.

Un lien entre la destruction écologique du capitalisme et le patriarcat

Quelles évolutions a connu le mouvement depuis Françoise d’Eaubonne ?

À son époque, les combats concernaient la « grève des ventres », c’est à dire les enjeux autour de la procréation. D’ailleurs cette émergence de l’écoféminisme n’a, en fait, pratiquement pas duré, le modèle européen de libération des femmes n’est pas universel. Aujourd’hui, d’autres femmes ne se sentent pas obligées de lutter contre les naissances, mais de se les réapproprier, de faire autrement. Aujourd’hui, c’est la situation qui décide du combat. Il y a des mouvements très globaux comme les marches, les occupations et d’autres plus locaux. L’écoféminisme est international mais à des échelles différentes.

La rencontre avec les Toulousains le 29 avril peut-elle être accessible pour des novices en la matière ?

Les gens viennent s’ils sont intéressés, ça peut aider à préciser ses idées. C’est sûr qu’il faut un minimum être au courant, on ne rentre pas parce qu’on voit de la lumière. Chacun peut y prendre ce qu’il veut, je ne fais pas d’endoctrinement, ce n’est pas un meeting. La question au cœur de la rencontre sera : « qu’est-ce que c’est l’actualité de la nature aujourd’hui ? »

L’action menée par le gouvernement est insuffisante

Depuis quand considérez-vous appartenir à la branche de la philosophie environnementale ? Comment en êtes-vous arrivée à ces convictions ?

En 1992, pendant le Sommet de la Terre, j’étais invitée à un colloque au Brésil. Là-bas j’ai pu discuter avec des dirigeants américains et ce sujet m’a intéressée, j’ai donc travaillé dessus. Mon mari Raphaël Larrère s’y intéressait aussi, c’est un scientifique, donc on travaille ensemble. C’est mieux, car en matière d’environnement, on ne peut pas dire n’importe quoi. En revanche, je ne pense pas avoir plus de convictions que ça en la matière, je dirai plus que je m’intéresse à un champ philosophique.

Vous opérez sur la pensée, si on peut dire, mais avez-vous un avis sur ce qu’il faudrait mettre en place, pour limiter le réchauffement climatique ?

Je fais bientôt une conférence sur la démocratie et l’écologie donc je pense avoir un avis oui. Pour résumer, il y a des programmes qui sont insuffisants. L’action menée par le gouvernement (pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, lutter contre l’agriculture productiviste…) est insuffisante. Je pense que les choses doivent vraiment changer à l’initiative des citoyens, de l’écologie populaire. Car les politiques publiques ne suffiront pas.

Beaucoup de ces citoyens ont tendance à dire que ça ne dépend pas d’eux, que ce sont les grandes entreprises qui peuvent réellement agir, et que leurs actions à eux sont ridicules, voire vaines.

Individuellement oui c’est ridicule, mais en groupe ça peut changer quelque chose.