[ÉTAT DES LIEUX]
AGRICULTURE URBAINE,
TOULOUSE EN TERRES FERMES

Il n’y a pas que la culture dans la vie (et dans les pages de Clutch). Chaque année, l’arrivée des beaux jours nous donne envie de sortir de notre pré carré pour explorer une thématique environnementale. Place donc à une autre forme de culture, l’agriculture urbaine, qui ne cesse de creuser son sillon à Toulouse.

| Nicolas Mathé

Il bruine légèrement en ce jour de mars mais cela n’empêche pas l’activité dans les champs. Un tracteur s’affaire dans les rangées de plantations tandis que plus loin, on récolte à la main quelques légumes de saison. De l’autre côté des haies, des clients font leurs emplettes dans le magasin de vente directe. Malgré cet air de campagne, nous sommes en plein Toulouse, à 5 km à vol d’oiseau du Capitole, dans le quarter des Izards. La ferme de Borde Bio est la dernière et donc la seule (en bio qui plus est) de la Ville rose. Vestiges de la ceinture maraîchère qui nourrissait jadis la cité, ces 1,7 hectares sont l’emblème de l’agriculture urbaine à Toulouse. Et pour cause, ça marche. À des années lumières de la caricature du joujou pour bobo déconnecté, la ferme est une entreprise viable et productive qui emploie 8 personnes tout en respectant les sols. « Le bio nécessite beaucoup de réflexion et d’organisation mais ce n’est pas si compliqué. Il faut dire que nous avons une terre formidable, consacrée au maraîchage depuis le Moyen-âge », explique Valérie Sassé.


Rapprocher consommateurs et producteurs, c’est le principe de l’agriculture urbaine quel que soit l’endroit

AUTONOMIE NOURRICIÈRE ?

À la tête de l’exploitation depuis 12 ans avec son mari Florent, cette dernière a vu avec bonheur l’implantation récente sur le site d’Edenn, pôle labellisé par Toulouse Métropole en tant que structure d’économie sociale et solidaire. Créé dans le cadre de l’appel à projet Dessine-moi Toulouse, ce lieu héberge et accompagne les porteurs de projets dans les domaines de l’alimentation, de la consommation ou de la valorisation des déchets. Il regroupe aujourd’hui 14 structures. « Une de nos missions est de reconnecter les habitants du quartier à une meilleure alimentation en lien avec des acteurs comme le centre social. Nous ne sommes pas un tiers-lieu classique, les structures se sont en quelques sorte choisies pour optimiser les synergies » détaille Jean-Baptiste Ortega, cofondateur d’Edenn. Une coopération qui porte ses fruits. Grâce à l’arrivée du pôle, la ferme de Borde Bio a pu ainsi mettre en place sur une parcelle dédiée le projet de maraîchage solidaire auquel elle pensait depuis longtemps. Première structure à avoir intégré Edenn, la Milpa a aussi bénéficié de la force du collectif. Cette société qui conçoit et gère des espaces verts ou de maraîchage est passée d’1,5 équivalent temps plein à 16, dont 10 travailleurs en insertion professionnelle. « L’agriculture urbaine s’y prête particulièrement bien, c’est un excellent support de cohésion et donc de retour vers l’emploi », confie Bertrand Desgranges, l’un des trois fondateurs. Si les vertus de l’agriculture urbaine ne sont plus à prouver, reste LA grande question de savoir si elle permettra un jour d’atteindre l’autonomie alimentaire d’une ville. Pour Jean-Baptiste Ortega, la réponse est claire : « elle n’a pas vocation à nourrir une métropole de 2 millions d’habitants. Il s’agit surtout d’inspirer des changements de pratique ». « Les choses bougent, glisse de son côté Valérie Sassé, mais il faut une volonté politique. Si nous avons pu nous installer ici, c’est qu’à l’époque, quand l’agriculteur en place a voulu vendre, la mairie a préempté les terres pour préserver un projet de maraîchage ».

UNE AGRICULTURE PAS SI URBAINE

Comme l’illustre le rejet par l’actuelle municipalité du projet de ferme urbaine porté par un collectif d’habitant aux Pradettes, le foncier est bien le nerf de la guerre. Soumises à une forte pression démographique, les collectivités ont vite fait de privilégier des projets immobiliers. Pour autant, malgré les échecs et les difficultés, loin du simple effet de mode, l’agriculture urbaine progresse inexorablement. À l’image du 100e Singe à Castanet-Tolosan, tiers-lieu mi-ferme, mi-bureau avec un espace-test agricole, des initiatives poussent partout dans la métropole et en milieu périurbain. Des collectivités comme Colomiers ou Blagnac installent elle-mêmes des maraîchers sur des terres qu’elles sanctuarisent. Un développement qui fait qu’aujourd’hui, le terme d’agriculture urbaine finit par désigner une vision spécifique de la production agricole s’exportant même en milieu rural ! « Dans les campagnes, on ne voit plus vraiment de paysans mais de grandes exploitations de céréales. Certains villages veulent, eux aussi, se réapproprier ces sujets pour rapprocher les consommateurs et les producteurs. C’est le principe de l’agriculture urbaine quel que soit l’endroit », analyse Laurent Rougerie, cogérant de Terreauciel, coopérative également installée à Edenn. Cette agence spécialisée a par exemple accompagné la mairie de Carbonne dans la mise en place d’une régie agricole pour approvisionner les cantines scolaires. Parmi ses autres activités, elle a fait émerger les Carrés Maraîchers, projet destiné permettre à tout le monde de faire pousser ses légumes grâce à un système clé en main. « Les particuliers louent une bande de terre. Nous fournissons les plants, les graines, les outils, l’irrigation ainsi que l’accompagnement pédagogique et les gens peuvent venir jardiner et récolter quand ils veulent », éclaire Laurent Rougerie. 34 parcelles réparties sur deux sites bénéficient à une cinquante de foyers divers : « des gens qui veulent juste mettre les mains dans la terre, comme des gens au RSA qui ont calculé qu’avec 500 par an, ils récupéraient 1000 de légumes ». Confiant dans l’avenir, Laurent Rougerie espère bien développer un maximum de nouveaux Carrés Maraîchers. Il ne reste pas moins conscient des enjeux : « le m² cultivable est tellement cher que chaque site doit aujourd’hui cumuler les fonctions de productions, sociales et environnementales. Il faut multiplier les usages, c’est obligatoire. »

LES 48H DE L’AGRICULTURE URBAINE
Prochaine édition du 24 au 26.05 pour cet événement national coordonné à Toulouse par Partageons les Jardins et Edenn. Au programme notamment cette année, une déambulation dans le quartier des Izards suivi d’une soirée festive à Edenn.

UNE SÉCURITÉ SOCIALE DE L’ALIMENTATION
Imaginons que l’on transpose à l’alimentation le système mutualiste de la santé. Une caisse alimentaire qui donnerait à ses membres le droit de bénéficier d’un budget mensuel dédié à l’achat de produits qu’ils auraient eux-mêmes conventionnés ? C’est le projet fascinant qui se trame au sein d’Edenn. Une quarantaine de familles ont été identifiées pour l’expérimenter à partir de septembre prochain.

3 QUESTIONS À… ALICE THOUVENIN
Responsable de l’association Partageons les jardins

D’où vient l’association Partageons les jardins ?
Les jardins partagés sont apparus dans les années 90. Un réseau s’est peu à peu construit au niveau national mais à Toulouse, il n’y avait rien. Nous avons donc créé l’association en 2012 pour mettre en réseau les acteurs et accompagner ceux qui le souhaitent, bailleurs, promoteurs, collectivités… dans la création d’espaces. L’idée est toujours de coconstruire avec les futurs jardiniers. Nous assurons un suivi technique les premières années mais le but est de les amener vers l’autonomie.

Quels sont les enjeux des jardins partagés ? On dit que ce sont des centres sociaux à ciel ouvert et c’est vrai. On ne vas pas nourrir la ville avec des tomates, les jardins permettent de faire du collectif, on touche parfois des gens qui ne sortaient plus de chez eux. Souvent, on observe dans les résidences des changements de dynamiques liés au développement de l’entraide.

Comment se porte l’agriculture à urbaine à Toulouse ?
Du côté du public, l’engouement ne s’est jamais éteint. Nous avons encore 10 jardins en projet, rien qu’à Toulouse et la demande est telle qu’ils sont souvent complets avant leur ouverture. Mais globalement, il faut bien constater que Toulouse est très en retard par rapport à d’autres villes. Ici, il n’y a que Edenn, comme vrai espace d’envergure tandis qu’ailleurs, il y en a parfois des dizaines.