[ÉTAT DES LIEUX]
Culture et féminisme,
action women !

En 2015, Clutch s’intéressait à l’égalité femmes-hommes dans la culture via un dossier accompagné d’articles sur… la pole dance et les salons de thé. Bref, une mise à jour s’imposait sur les luttes féministes et les nombreuses initiatives qui bousculent les genres à Toulouse.

| Nicolas Mathé

Nombre de femmes à la tête d’institutions, de projets artistiques portés par des femmes… Il y a huit ans, les chiffres étaient déjà sidérants et il n’y a pas tellement de risque à affirmer que, aujourd’hui, la situation comptable n’a que très peu évolué. En revanche, l’heure n’est plus au constat accablé mais à l’action déterminée. Depuis, il y a eu le souffle #Metoo. Le sujet traverse et questionne radicalement la société au point d’être devenu incontournable. Surtout, un travail de fond a été entrepris pour mettre en lumière les différentes sources de ces discriminations et décortiquer le système qui les fait perdurer. Comme si elles parlaient d’une seule voix, toutes les interlocutrices sollicitées pour cet article décrivent le même schéma. D’abord un ressenti sur lequel on ne met pas de mots. Puis, avec l’expérience, la prise de conscience de l’ampleur du phénomène, de tous ces freins profondément enracinés qui commencent dès l’éducation. Dans les écoles de musiques « la batterie est plus réservée aux garçons tandis qu’on oriente les filles vers le chant », raconte Nina Chapuis, cofondatrice de la maison d’artiste FÔM. Dans le domaine du cirque, « le trapèze est pour les filles et l’acrobatie, pour les garçons », témoigne Yaëlle Antoine, cofondatrice du collectif militant de circassiennes Les Tenaces. Entrent ensuite en ligne de compte les remarques désobligeantes, les violences sexistes, le nombre d’heures consacrées aux tâches domestiques par rapport aux hommes, l’entre-soi, la cooptation, la grossesse… Un ensemble de facteurs qui entraînent une légitimité moindre pour les femmes. « D’autant plus dans le milieu culturel où règne une illusion d’égalité mais qui est surtout caractérisé parla précarité, le travail en soirée et de nombreux déplacements. Aujourd’hui, il y a 60% de femmes dans les écoles supérieures d’art mais plus que 20% dans les programmations artistiques, la déperdition est énorme, sans parler de la ségrégation verticale qui fait que, plus on monte dans les hiérarchies, moins on trouve de femmes », détaille Anne-Lise Vinciguerra, directrice de l’association féministe La Petite, active dans les musiques actuelles.

WHO RUN THE WORLD ?

Créée en 2004, La Petite est une des premières associations culturelles à avoir mis en place des formations à destination des femmes. En 2018, elle a recentré l’ensemble du projet sur l’égalité des genres. « Jusque-là, en termes de programmation, nous faisions exactement comme les autres structures. Aujourd’hui, dans les soirées et le festival Girls don’t Cry, nous faisons jouer 99% de personnes sexisées (femmes, transgenres, queer et non-binaires). Le but est de transformer le regard et les représentations, de ne plus se laisser raconter le monde par des hommes blancs cis-genres », assure Anne- Lise Vinciguerra. « Male gaze », « intersectionnalité » des luttes… Les grands mots qui fâchent et provoquent tant de vives résistances sont lâchés. Témoins de l’évolution des luttes féministes, ces termes ne ciblent pourtant personne à titre individuel mais tout le monde de manière collective. « Personne n’a l’intention d’être sexiste, c’est le sexisme qui structure la société, chacun doit questionner ses pratiques », appuie la directrice de La Petite. Initiatrice des soirées BO$$BITCH, dédiées aux artistes femmes et queer, la fameuse Dj toulousaine Mamelle Bent ne dit pas autre chose. « Je n’ai rien contre personne mais quand on regarde les faits, c’est catastrophique. Je veux participer à inverser la tendance et rétablir l’équilibre », confie-t-elle. De plus, avec l’aide de l’incubateur de La Petite elle a également créé l’association Les Daronnes qui vise à favoriser l’accès à la culture des mères via un système de garderie lors des soirées BO$$BITCH. Des espaces de ce genre, créés pour rendre visible les femmes et renverser la domination patriarcale, il en existe désormais dans tous les domaines culturels : édition, arts visuels (voir encadrés) mais aussi cirque. Le collectif Les Tenaces a ainsi vu le jour en 2012 via un manifeste posant la question d’un cirque potentiellement féministe. « On a voulu interroger un milieu encore fortement marqué par l’héritage du cirque traditionnel avec des techniques très genrées et trop peu de modèles femmes », se remémore Yaëlle Antoine. Depuis, les Tenaces s’évertuent à créér des liens pour « s’éclairer les unes les autres ». Le collectif organise aussi des ateliers, des rencontres, et travaille sur la question des matrimoines avec des créations mettant en avant des femmes oubliées. Il est également à l’origine du festival Créatrices, organisé par la Grainerie. Un lieu qui « a été le premier à prendre le sujet au sérieux et qui continue à le faire tout au long de l’année », se félicite Yaëlle Antoine. Frustrée par la stagnation des chiffres, celle-ci se dit toutefois pleine d’espoir devant l’émergence d’une génération « qui ne laissera plus rien passer ».


Personne n’a l’intention d’être sexiste, c’est le sexisme qui structure la société.

LE CHOIX DE LA NON-MIXITÉ

Elle ne croit pas si bien dire, la relève est d’ores et déjà en place. Nina Chapuis et Mathilde Hallett n’ont pas 25 ans et ont crée la maison d’artistes FÔM, fruit de leurs expériences respectives de manageuse et de musicienne. Leur double constat : la difficulté pour tout musicien émergent de se professionnaliser et, de surcroît, les inégalités de genre dans le domaine. Pas besoin de grand discours, les deux jeunes femmes ont fait une expérience grandeur nature, elles ont recensé le nombre de musiciennes présentes sur les scènes de quatre salles toulousaines de mars à avril 2022. Résultat : 9,7% de femmes (dont plus de la moitié au chant) sur près de 140 groupes et 2,9% de leadeuses. FÔM marche ainsi sur deux jambes : l’accompagnement pour tous (coaching scénique, administratif, comm’…) et la mise en avant des femmes et personnes issues de minorités de genre à travers des jams en mixité choisie, c’est à dire ouvertes à toutes personnes non homme cis-genre. « Dit comme cela, on comprend que cela puisse heurter. C’est une première à Toulouse mais il suffit d’aller dans des jams classiques pour comprendre le besoin flagrant d’espace safe et bienveillant, qui laisse le temps aux musiciennes d’acquérir de la confiance pour monter sur scène. On utilise la non-mixité comme une préparation à la mixité, c’est une étape », explique Mathilde Hallett. Organisée un mercredi par mois au Taquin, l’expérience en est à sa 5ème édition. « Hormis la première fois où on avait décidé d’ouvrir à tout le monde en deuxième partie et où quatre mecs ont sauté sur scène pour ne plus la lâcher, ça se passe super bien, il y a de plus en plus de participantes et une super écoute », raconte Nina Chapuis. Les complices se réjouissent aussi de l’accueil du Taquin : « On sent qu’ils sont dans une démarche sincère. C’est le plus important, tout le monde peut se tromper, il faut juste essayer de s’améliorer ». Malgré une impression de polarisation du débat et de tension sur tous ces sujets, les militantes féministes de la culture sont sereines et optimistes, à l’image d’Anne-Lise Vinciguerra : « il faudra du temps, les sujets sont complexes, mais un vrai changement sociétal est en cours ».

BLAST
Antiracistes, féministes, queer, la maison d’édition toulousaine Blast défend une littérature d’essai et de création politique qui pense l’ar- ticulation des oppressions et des luttes. Parmi les dernières parutions : Telle quelle, de Camille Laforcenée ou La septième lèvre, de Miel Pagès.

ILLUSTRAFEMMES
Dédiée aux artistes femmes, la galerie Illustrafemmes (19 rue des Blanchers) travaille avec plus de 40 illustratrices françaises et internationales. En mars, à l’occasion de la journée des droits des femmes, elle organise l’expo collective « Elle et la ville Rose” (4 mars- 5 avril) avec 24 artistes de Toulouse et d’ailleurs qui présenteront leurs regards d’artistes femmes sur la Ville rose.