RAVE 1995 :
la révolte des basses

[THÉÂTRE MUSICAL] Nine Club (Complexe Sesquières) | jeu. 10 nov. | lacompagnieA

Audacieuse et atypique, cette pièce sur la culture rave ne pouvait sans doute trouver meilleur écrin… qu’une boîte de nuit. Comme à l’époque des débuts du mouvement, c’est via une infoline que l’on se laisse guider pour plonger dans l’univers techno de la compagnie A et du metteur en scène Pierrot Corpel. C’est parti comme en 1995 !

| Joy Teseroux

Une question me vrille la tête en arrivant devant le Nine Club, au sein du complexe de discothèques de Sesquières. « Depuis quand n’ai-je pas remis les pieds en boite ? » A en juger par les visages croisés à l’entrée, je ne dois pas être le seul à me poser cette interrogation existentielle : autour de jeunes et d’étudiants curieux, il y a là plusieurs habitués des théâtres toulousains, des anciens aux cheveux grisonnants et, en toute logique, des teufeurs de la première heure.

Étrange melting-pot, qui me replonge directement dans l’ambiance des raves d’antan (drogue exceptée, bien entendu, parce que c’est mal voyez). A l’intérieur, la disposition de la scène impressionne, avec son avancée centrale, ses nombreux écrans et son imposant desk Dj trônant au milieu d’enceintes promettant un lourd mur de son. Petit privilège de la soirée : le bar est ouvert. Et voir une pièce de théâtre une p’tite bière aux lèvres, ça se refuse pas !

Un show de lumières et de grosses basses, techno old school, lasers et vidéos psychédéliques

UNE ÉPOQUE RÊVÉE
Magnétoscopes, postes à K7, téléphones fixes, appareils photo jetables… Dès l’ouverture de Rave 1995, les références à cette époque analogique procurent un goût de madeleine de Proust au dinosaure que je commence (déjà) à être. La présence de cette technologie archaïque (sans doute une forme de préhistoire pour les plus jeunes spectateurs) participe au sentiment d’immersion dans les années 90, tandis que les enceintes du Nine pulsent sacrément autour de nous.

Pour autant, la bande son recule, elle, encore plus dans le temps : on y entend pêle-mêle les Doors, Jim Hendrix, Janis Joplin, Bob Marley ou Deep Purple et les Beatles. Quel rapport avec la choucroute party, vous me direz ? Ça vient, ça vient. Car c’est l’heure de l’apéro dans un appart’, dans lequel retentit cette musique intergénérationnelle, lorsqu’un des personnages balance le flyer d’une rave à proximité. Première fois que cette petite bande entend parler de ce nouveau phénomène. Le puriste du groupe – parce qu’il y en a toujours un – s’oppose à l’idée d’y aller, brandissant l’argument massue : « gna gna gna, c’est pas de la musique, les Dj’s ne jouent pas, c’est que des « boum boum« , refrain massivement répandu à l’époque pour discréditer toute musique vaguement électronique. Malgré tout, le bonhomme finit par se laisser convaincre et suit ses potes pour découvrir la teuf.

Comme lui, on se fait alors happer par un show de lumières et de grosses basses : de la techno old school, des lasers dans tous les sens et des vidéos psychédéliques de partout. On en oublierait presque être devant un spectacle pour se lever, danser et profiter du son avec les personnages. D’ailleurs, tout le monde se met à bouger en rythme tandis que les acteurs dansent au milieu du public.

L’esprit festif est contagieux, le rythme soutenu, et la séquence dure avant de revenir à une forme plus théâtrale. L’euphorie passée, le ton et l’ambiance changent du tout au tout. L’effet bad trip des lendemains de soirées pas très raisonnables. Justement, s’il revient sur l’aspect utopique et libératoire du mouvement, Rave 1995 n’en omet pas pour autant d’explorer sa face sombre. Si l’émergence de ce courant a radicalement et profondément marqué l’univers de la musique – avec des répercussions sur le monde musical actuel -, il a également été marqué par de sérieux ravages, aux premiers rangs desquels ceux causés par la drogue (« Use, don’t abuse« ).

Toute la force de Rave 1995 est là : une manière d’embrasser la complexité des réalités au travers des expériences de chaque personnage, sans tomber dans la leçon de morale. Entre grosses montées et brusques passages à vide, la pièce est aussi universelle que pédagogique. Un aspect quasi documentaire, renforcé par des extraits d’époque de journaux télévisés. Si, depuis 1995, le monde est passé de l’analogique au numérique, les problèmes politiques et sociaux, eux, n’ont malheureusement pas pris une ride.
Rave 1995 : un flashback… acide.