[ÉTAT DES LIEUX]
SPECTACLE VIVANT À
TOULOUSE, LE THÉÂTRE
DES (CO)OPÉRATIONS !

Tous les mois en épluchant les programmes des théâtres, on constate la multiplication des partenariats et coréalisations entre les différentes structures. De quoi nous donner envie de sonder les raisons et enjeux de cette harmonie locale. 

| Nicolas Mathé

C’est une pratique qui, en tant que magazine culturel, nécessite une certaine vigilance afin de ne pas induire les lecteurs en erreur. Dans les programmes des théâtres et structures culturelles de la métropole se cachent de plus en plus régulièrement des spectacles se déroulant en fait dans un autre lieu. Parfois, nous n’avons même pas la place de mentionner dans les infos pratiques les trois ou quatre structures qui se sont associées pour présenter une pièce ensemble. Une tendance qui a pour vitrine la Biennale – Festival international des arts vivants Toulouse Occitanie. Un événement géré de manière aussi collégiale avec des coopérations à tous les étages et autant de structures concernées, « cela n’existe nulle part ailleurs, c’est une spécificité toulousaine », s’enflamme Stéphane Gil, codirecteur du ThéâtredelaCité (TC). « Avant la première édition en 2019, certains théâtres ne s’étaient jamais vraiment parlé. Aujourd’hui nous en sommes à la troisième et tout se fait en collectif : de la recherche des fonds, jusqu’à la conférence de presse en passant par la programmation », poursuit-il.

Pas évident de retracer l’origine exacte de cette entente cordiale à la toulousaine. Mais pour Stéphane Boitel, directeur adjoint chargé de la programmation au théâtre Garonne, il faut remonter plus de 15 ans en arrière pour identifier une des causes profondes d’un phénomène global. « Pendant longtemps, tout le monde a fait cavalier seul. Ce qui a battu en brèche le réflexe du chacun chez soi, c’est la crise financière de 2008. A l’échelle européenne, cela a été très clair, les gens se sont mis à travailler ensemble face à la baisse des subventions. En France, cela a mis plus de temps. La culture était encore trop riche, c’est évidemment de moins en moins vrai ». Aucun acteur n’élude en effet l’enjeu financier de la coopération. Il n’en reste pas moins qu’il y aurait à Toulouse un petit truc en plus. Une ambiance collective à laquelle le ThéâtredelaCité, en tant que Centre dramatique national et outil principal de la métropole, ne serait pas étrangère, estime Stéphane Gil : « Quand nous sommes arrivés avec Galin Stoev (artiste-directeur, ndlr), le ThéâtredelaCité sortait d’une période d’isolement et de repli sur soi. Notre projet était d’ouvrir et de partager ce lieu pour accueillir d’autres disciplines mais aussi diversifier les regards. Nous sommes le seul plateau de cette taille, nous n’avons pas besoin d’aller dans d’autres salles, pour autant, nous nous appuyons sur la force d’autres théâtres pour aller vers des esthétiques que nous ne pourrions pas faire seuls ».


Cela n’existe nulle part ailleurs, c’est une spécificité toulousaine

EN BONNES COMPAGNIES

Une ouverture qui a visiblement créé un appel d’air généralisé. Désormais, des structures comme le théâtre Garonne ou le Sorano qui accompagnent des compagnies émergentes de plus en plus ambitieuses et souhaitent continuer leur collaboration tout en n’ayant le plateau correspondant, n’hésitent pas à solliciter le ThéâtredelaCité. C’est le cas par exemple pour le dramaturge portugais Tiago Rodrigues ou la compagnie de cirque Baro d’Evel, des projets et équipes soutenus de longue date par le Garonne et qui sont aujourd’hui régulièrement programmés au TC. Et cela fonctionne en cascade. Les coréalisations entre théâtres permettent également au Garonne de recevoir sur sa scène des artistes qu’il n’aurait jamais pu accueillir, comme la metteuse en scène Stéphanie Aflalo proposée par le théâtre Sorano. Eu égard à une « courtoisie qui invite à se renvoyer mutuellement les invitations », dixit Stéphane Gil, les partenariats se multiplient ainsi d’années en années. « Sur les 40 spectacles que nous proposons sur la saison, deux-tiers sont en partenariat avec d’autres structures de la métropole. Que ce soit des festivals comme Supernova, du Sorano ou Ici et là, de la Place de la Danse, mais aussi des partenaires comme la Cinémathèque ou le GMEA d’Albi. Nous partageons à chaque fois les frais et les recettes mais l’idée est aussi de sortir de ce que les gens attendent d’un théâtre », développe Fanny Ribes, administratrice de production au Garonne.


Dans ce système de partenariats, aucune procédure automatique, tout ce beau monde s’est apprivoisé au fil des années, se parle et se fait confiance. Même une coopérative engagée de taille plus modeste comme le théâtre du Grand-Rond travaille avec le grand centre dramatique national. « Tout se fait au cas par cas, confirme Eric Vanelle, responsable du développement du théâtre. La base, c’est de pouvoir proposer au public des spectacles qu’on ne peut pas accueillir chez nous, raison pour laquelle nous avons 3-4 propositions par an au théâtre des Mazades. Mais il y a des cas particuliers. Nous travaillons par exemple avec l’artiste Lucie Ataste dans l’indifférence totale depuis 15 ans et, pour sa dernière création, nous avons réussi à convaincre le ThéâtredelaCité de la coproduire et de l’accueillir ».

Autres configurations de partenariats, le Grand-Rond travaille depuis longtemps avec Marionnetissimo et, en janvier prochain, il s’associera à l’Escale et à la Grainerie pour un focus sur le travail de la chorégraphe, vocaliste et acrobate Marlène Rostaing. Circulation du public dans les différents théâtres, plus grande richesse et diversité des propositions pour les spectateurs… Si ce climat collaboratif a, à priori, de quoi satisfaire tout le monde, il existe tout de même une petite ombre au tableau. Dans le paysage, certaines voix estiment en effet que toutes ces collaborations ne sont trop souvent que le fruit d’une volonté de réduction des coûts. Et regrettent par la même qu’elles ne bénéficient qu’à quelques compagnies déjà repérées au détriment de jeunes compagnies locales. Toujours améliorable, la voie de la coopération reste quoi qu’il en soit forcément le bon chemin face à la fragilisation de la culture qui sévit actuellement.

PLEIN FEUX SOLIDAIRES
Autre preuve de la bonne entente locale, depuis plus de 15 ans, une dizaine de théâtres toulousains et autres structures culturelles proposent les Carnets Pleins feux. Soit des places à tarif réduit, non nominatives et sans limite de temps, utilisables dans tous les lieux partenaires : Cave Poésie, Grand-Rond, Fil à Plomb, Théâtre du Pont-Neuf, Le Hangar, Théâtre de la Violette, Théâtre du Pavé, Le Bijou, Le Petit Théâtre du Centre (Colomiers), La Péniche Didascalie (Ramonville), et la Grande Famille (Pinsaguel).

3 QUESTIONS À… ROSTAN CHENTOUF
Directeur de La place de la Danse

Quelle place occupent les partenariats dans votre projet ?
Cela fait 30 ans que la Place de la Danse existe et une de ses spécificités est l’itinérance. Ce qui fait que le centre a été précurseur dans la coopération. Le projet a toujours défendu la circulation du regard et des œuvres avec d’autres structures. Cela fait partie de notre identité et aujourd’hui, de plus en plus, il s’agit d’un enjeu économique mais aussi écologique : il faut travailler la question de la présence sur le territoire.

Comment se passent concrètement ces coréalisations ?
C’est tout sauf formalisé. Ce sont des échanges au long cours qui laissent la place à la spontanéité. Nous nous appelons avec le ThéâtredelaCité, les Mazades, le Garonne ou encore le Kiwi selon les jauges, les histoires et les missions de chacun pour se dire : « j’ai vu tel spectacle, j’ai rencontré tel artiste, voyons-nous pour en discuter ». Le dénominateur commun, c’est le désir de soutenir des gestes esthétiques.

Vous êtes arrivé récemment à Toulouse, avez-vous senti un climat propice à la coopération ?
Oui, c’est perceptible très vite quand on arrive. Ce qui se passe ici est assez exemplaire. Il y a une compréhension très fine des enjeux de la coopération mais aussi un réel plaisir de cultiver les déplacements et enrichir les programmations des uns et des autres.