DOOZ KAWA en concert à Toulouse : « Je ne fais pas du rap pour ceux qui aiment le rap »
[CONCERT] Le Bikini | sam. 8 avr. | 19h30 | 22,5 et 25 €
Rencontre avec Dooz Kawa, l’artiste qui porte ses paradoxes comme s’il s’agissait de casquettes. Rappeur hardcore mais poète philosophe ; viré de moult collèges et lycées mais invité à Normal Sup et Science Po ; MC moderne mais amateur de longues instrumentales de guitares tziganes ; musicien underground mais pourtant incontournable de la scène rap française.
| Propos recueillis par Adrien Pateau – Photo : Ulysse Paya
Ta dernière apparition a été au sein du collectif Soleil Noir. Qu’est-ce qui en est l’origine ?
Je pense que l’idée est née d’un de mes vieux rêves d’enfant. J’ai grandi seul, de déménagements en déménagements et j’ai toujours voulu former un crew d’amis artistes. L’opportunité s’est enfin présentée avec Swift Guad, que je connais depuis des années, un des meilleurs rappeurs de France à mes yeux. C’est un accomplissement de bosser avec lui ! Davodka, je l’ai connu de plateaux partagés et d’amis en commun. À force de nous côtoyer, nous avons pu faire des feats dans nos albums respectifs et nous juger au garrot. C’est un bonhomme. Nous trois, c’était une évidence ! Swift souhaitait qu’on soit quatre, pour une double symétrie. Il fallait une nouvelle vibration pour le quatrième membre, alors il a suggéré Euphonik : “un petit jeune qui déchire”. Il m’a suffit d’une écoute pour être d’accord !
Et ainsi est paru “Jour de Nuit”… Qu’est ce que ça fait ?
Ça nous a permis de sortir de nos univers artistiques personnels et de nous lâcher sur quelque chose de cathartique que nous n’aurions pas forcément pu mettre dans nos albums. Soleil Noir est un point de jonction entre nos quatre univers, que ce soit en terme de textes, de sonorités ou d’ambiance. Déjà 8 dates de tournées sont prévues et il y aura un second disque ! Mais nous restons focus sur nos carrières solos. Je bosse sur mon prochain album en ce moment. Je répète sans cesse que ça n’avance pas mais j’ai déjà une trentaine de titres… Il sera traversé par des morceaux aliens, des freestyles axés sur mon ressenti
sur le monde et l’altérité !
Et toi, comment vas-tu ? Tes dernières chansons sont bien mélancoliques…
Je ne sais pas comment je vais. Je n’ai pas de référentiel pour dire ce qui est bien. Pour les philosophes, il y a l’ataraxie, la tranquillité de l’âme. En santé, il y a l’absence de maladie. C’est peut être ça, aller bien ? Pas forcément être méga heureux mais l’absence de trouble. Disons que je suis presque neutre sur cette échelle-là. Je sais un peu plus qui je suis. J’ai arrêté certaines choses, j’en ai accepté d’autres. Certaines sensibilités ne s’effaceront jamais mais il faut tenter de mieux les appréhender, apprendre à les gérer et ne pas leur donner la même importance.
Comment cette hypersensibilité, s’il s’agit de ça, se traduit dans ta musique ?
J’ai une certaine hyperesthésie. D’ailleurs, je ressens mieux les mélodies que les êtres humains ! Je trouve facilement des logiques dans ce que j’écoute. Comme si je décodais un algorithme pour comprendre ce que la mélodie veut dire. Je répondais être un mathématicien aux gens qui m’acollaient l’étiquette de poète ! Faire de la musique, écrire des textes… c’est de la logique. Certains mots sont faits pour être là. Je peux écrire un morceau en une journée et buter des mois sur deux termes parce que je sens que ce ne
sont pas les bons…
Quel est ton processus d’écriture ?
J’ai du mal à exprimer mes émotions, mes joies, mes peines, je peux être assez renfermé sur moi. Mais, à l’intérieur, c’est un feu d’artifice. Autant en jolies lumières qu’en brûlures. J’essaie d’écrire pour communiquer avec mes contemporains. À mes yeux, les mots revêtent une importance capitale et leur sens est essentiel.
Tes textes, tes masterclass sur l’écriture, tes conférences et tes apparitions en compagnie de philosophes, révèlent ton exigence des mots et des idées. Qu’est ce qui te motive ?
Petit, j’étais impressionné par Brel et Brassens. Comment peut-on écrire aussi bien ? Mais dans le rap c’est souvent de la marmelade. Les rappeurs s’étalent pendant des minutes entières et ne disent rien. Ou maladroitement. Tout le monde n’est pas Gaël Faye, Mc Solaar ou même Booba dans son approche stylistique de la vulgarité ! Je voulais apporter mon intérêt de la philosophie, de la poésie, de cette recherche du mot idéal. Je me suis demandé quelle était ma valeur ajoutée. Sinon ça ne sert à rien d’avoir un micro dans les mains !
Tu es un artiste un peu de niche et en même temps une valeur sûre du rap à texte. Y a t’il une volonté de rester underground ?
Il y a longtemps, un major disait apprécier mon projet mais ne pas réussir à le classer. Ils voulaient un produit facilement reconnaissable. Je ne me retrouvais pas dans leur proposition… J’ai failli tout plaquer, mais mon pote Nano a mixé et arrangé mes pistes pour en faire l’album Étoiles du Sol en 2010. Ça a bien marché et les labels sont revenus nous faire des offres. Ils voyaient en nous un produit pas cher et rentable. Mais nous n’avions plus confiance. Maintenant j’ai mon propre label, Narcozik Society, et je travaille avec Modulor (ndlr : une société de distribution physique et numérique).
Cela contribue à ton image de rappeur à part…
Je dis souvent ne pas faire du rap pour ceux qui aiment le rap. Je le fais pour ceux qui n’aiment pas. Pour qu’ils ne puissent plus répandre que le rap c’est de la merde. J’ai envie de faire de la musique, d’où l’importance de certaines atmosphères hypnotiques dans mes titres. Certaines mélodies peuvent se passer de l’artiste principal. D’ailleurs, très tôt, on m’a fait comprendre que je ne rappais pas comme les autres. On m’a ignoré ou on a critiqué mon flow. Peut être que cela vient de ma façon de détacher les syllabes… Je rappe avec l’urgence, j’ai beaucoup de choses à dire et peur de ne pas avoir le temps. Je fais tellement de choses en permanence que cette urgence est partout. Dans mon hyper activité, dans mon éco-anxiété… L’instru n’est jamais assez longue avec tout ce que j’ai à dire ! Si j’étais juste un ambianceur, je découperais mon flow. Mais, apporter la forme et le fond, c’est comme une balance romaine. Si tu charges trop l’un, l’autre s’en ressent. L’art de la noble écriture c’est de défoncer la forme et le fond.
Quel a été l’élément déclencheur qui t’a fait te lancer dans le rap ?
J’ai eu des facilités avec la musique dès l’enfance. J’imaginais des clips, j’improvisais des comptines pour endormir mes frères… Au lycée le groupe des mecs influents faisaient du rap. J’ai testé d’écrire et j’ai vu que ça venait hyper facilement. Mais, très rapidement, j’ai constaté qu’on ne racontait pas du tout la même chose eux et moi. J’étais tout seul dans mon délire. J’ai continué sans penser que ça marcherait un jour. Mais, une fois que tu as chopé la technicité pour écrire, tu veux t’en servir. C’est un réflexe. Quand tu as un outil tu veux t’en servir. Tu veux taper quand tu as un marteau dans les mains ! J’avais cette
habileté et l’envie de voir jusqu’où je pouvais aller dans la contorsion des mots et des sens.
Ton premier album porte le même nom que ton association “Étoiles du Sol” !
Oui, c’est une asso, co-fondée avec Samantha Al Joboory, médecin psychiatre au Centre hospitalier de Cadillac, qui œuvre pour la protection de l’enfance. Nous luttons contre la violence ou les traumatismes psychiques et nous sensibilisons au respect de la différence en intervenant notamment dans des écoles. Et en faisant des cours de philosophie ou de rap notamment. Les petits n’ont pas encore construit leurs barrières mentales, on peut facilement les faire pleurer, peur ou mal. Ils ont besoin de protection. Un jour, c’est eux qui seront grands et qui pourront protéger à leur tour. Ils sont l’avenir que nous transmettons. Et
nous leur donnons des outils comme la philosophie, la méditation, la psychologie pour qu’ils les utilisent s’ils le veulent.
Je crois savoir que ta carrière t’a amené faire un tour dans notre bonne vieille Ville Rose…
Oui, et c’est là qu’est né Milo, mon fils, il est mon petit toulousain. C’est un de ses surnoms ! Et Toulouse c’est là où sont mes vrais amis. Il y a Dorian Astor, qu’on entend sur le dernier disque, et qui est dramaturge de l’Opéra national du Capitole. Il y a aussi Max Rey, qui fait toutes les pochettes de Narcozik (ndlr : les EP de Dooz Kawa), Aude Sturma qui est une de mes amies les plus intimes, Stéphane chez qui j’allais laver mon linge… C’est une ville chaleureuse qui sera toujours mon référentiel en vivier d’amis très très proches.