[ÉTAT DES LIEUX]
Get up, stand-up !

Ces derniers mois à Toulouse, les « comedy club » poussent comme des champignons. Il était temps de s’immerger dans les caves de la Ville rose pour saisir l’essence de ce fascinant phénomène qu’est le stand-up.

| Nicolas Mathé

Cette fois, ça y est ! La vague du stand-up qui emporte tout sur son passage dans le monde de l’humour est bien arrivée dans la Ville rose. En à peine une année, on l’a vu grandir de manière fulgurante dans nos pages agenda. Chaque mois, de nouvelles dates, de nouveaux lieux, de nouveaux noms… Et ça continue encore et encore. Ce n’est que le début d’accord, d’accord, Toulouse a plusieurs wagons de retard par rapport à Paris, mais la dynamique est très forte. Il faut dire que jusqu’à très récemment, peut-être plus encore dans le stand-up que pour les autres domaines artistiques, c’est là-haut que tout se passait. D’ailleurs, après un premier élan en 2016, initié notamment par Haroun avec le Comptoir du Rire, dans la cave de l’ancien restaurant Au comptoir et à table, le soufflet était vite retombé avec la fuite inévitable de cerveaux partis tenter leur chance dans la Ville lumière. Mais visiblement les choses commencent à changer. Avec l’avènement du stand-up qui s’enracine de plus en plus profondément dans une société en plein bouleversement, une nouvelle génération semble bien décidée à agir localement. « Ma mentalité au moment de me lancer, c’était de faire en sorte de ne pas avoir besoin d’aller à Paris », assure ainsi Rom Charrette, une des figures du stand-up toulousain. Après ses premiers pas sur scène au Comptoir du rire d’Haroun, le Réunionnais débarqué à Toulouse pour ses études, n’a qu’une idée en tête, jouer le plus possible. « Le Comptoir du rire s’est arrêté, nous étions quelques-uns à vouloir poursuivre et nous avons créé le Boudu Comedy, qui a été itinérant pendant un moment, avant de finalement s’installer dans la cave du bar Ô Boudu Pont», se remémore-t-il. Avec le Duplex, qui accueillait au même moment le Toulouse Comedy Night, la café du bout du Pont-Neuf est un des lieux pionniers du stand-up actuel à Toulouse. Au fur et à mesure Rom Charrette et ses camarades y ont multiplié les concepts et formats (battle comedy, open mic, passages de 3, 5 ou 10 minutes…) afin que « tout le monde puisse jouer au moins une fois dans la semaine ». Lui, a un spectacle d’une heure qu’il a joué plusieurs fois ici mais aussi dans d’autres villes et en Belgique. Il en prépare déjà un deuxième qu’il rodera à coup sûr à Toulouse, boosté par « la bienveillance et l’effervescence qui y règne ». Effervescence. Le mot est sacrément approprié pour évoquer une autre activiste du stand-up toulousain. Véritable boule d’énergie, Mathilde Asteno est tombée dedans par hasard, par défi un soir d’ivresse, sans rien connaître à la discipline. « Pour moi, c’était comme du karaoké mais j’ai découvert que le stand-up était un vrai métier », raconte-t-elle. Et aussi un milieu pas forcément tendre envers les femmes : « sur une cinquantaine d’artistes qui jouent sur les différents plateaux, on doit être à peine plus de cinq femmes, j’ai eu mon lot de remarques et de comportements sexistes et homophobes ». Malgré tout, avec ses textes cathartiques sur son expérience en EHPAD pendant le Covid ou son homosexualité, ses premières scènes au Duplex à tout juste 19 ans sont un succès et une fois l’été venu, l’étudiante de Sciences-Po ne veut plus s’arrêter. Elle crée donc un premier plateau, la Fabrique du Rire, au Kalimera, puis un deuxième avec son collègue Avotcha, La Grotte du Rire, au Père Peinard. Tout en restant fidèle aux origines underground du stand-up, elle souhaite ouvrir encore de nouveaux lieux pour professionnaliser la discipline à Toulouse. « Le but est de monter le niveau avec des espaces beaucoup plus nombreux et variés de pratiques. Plus on montera le niveau, plus on pourra fidéliser les gens et sortir de la précarité », appuie l’organisatrice, qui avec sa casquette d’artiste, vise l’intermittence.

THÉRAPIE DE GROUPE ?

Si de plus en plus de lieux (voir court-circuits) permettent à des débutants de se lancer, il manque encore un lieu entièrement dédié au stand-up dans la ville. Aujourd’hui, ceux qui souhaitent aller plus loin passent forcément par la Comédie de Toulouse. En plus d’accueillir les artistes nationaux les plus en vue, le lieu fait de la place aux Toulousains les plus aguerris dans sa petite salle. « L’objectif, c’est quand même de sortir des bars à un moment », lance la cinglante Perrine Déza qui y a joué son spectacle, tout comme à la Comédie de la Roseraie, à Albi, Lyon ou Paris. Avec son parcours, celle qui manie l’humour noir avec précision, illustre assez bien la place que prend le stand-up dans la société. Au chômage suite à une dépression, elle découvre la discipline qui prend de plus en plus de place jusqu’à se lancer sans vraiment se le dire. « Il faut forcément une blessure narcissique pour monter sur scène. Et puis le stand-up correspond à l’air du temps, on est biberonné à l’expression de soi par les réseaux sociaux », analyse-t-elle. Très orientée politique dans ses premiers textes, Perrine Déza creuse plus profond pour écrire un spectacle qui parle aussi d’elle. « Il y a beaucoup de fantasmes autour de ce métier : il n’y a pas besoin d’être torturé pour le faire et ça ne soigne pas non plus. En revanche, pour être pertinent, il faut être dans l’introspection, se regarder vraiment en se mentant le moins possible », confie l’humoriste. « Sortir le monstre qu’on a en soi », appuie Scott Fins, qui a épaulé celle-ci dans ses recherches. Ce véritable passionné ne rigole pas avec l’humour, il lui voue un culte. « Avant le confinement, j’ai décidé que je ne voulais vivre que de ça et pour ça », s’émerveille-t-il encore. Il a donc suivi des cours en visio auprès de Greg Dean, pionnier du stand-up, avant de devenir son assitant, puis de traduire sa méthode. Fondateur du Fais-moi rire Comedy Club, qui sévit dans plusieurs lieux (Petit London, London Town…), il donne aussi des cours de stand- up à la Comédie de la Roseraie.

3 QUESTIONS À… MARGOT DUBOIS
> Coordinatrice du collectif Oral

Quelle est la raison d’être du collectif ?
Mettre en avant les arts du langage afin de participer à une forme de libération de la parole. Nous organisons un festival et de nombreux événements toute l’année autour du slam, du théâtre, de la poésie… dans l’idée de casser les cases. Tous les mois, nous organisons Des bars de rire, des soirées stand-up à prix libre dans des cafés, restaurants et autres lieux avec une ligne éditoriale spécifique non excluante et non oppressive.

Comment expliques-tu l’engouement énorme autour du stand-up ?
Par plein de raisons que la phase de Covid a amplifié. Du côté des artistes, elle a été une occasion de bifurquer que beaucoup ont saisie pour monter sur scène. Certains veulent en vivre, d’autres s’y mettent juste comme un hobby. Le public, lui, a envie de se réunir et de se détendre après le boulot en allant voir un spectacle pas cher. Et pour les bars, c’est un excellent moyen de ramener un nouveau public en semaine. Tout le monde s’y retrouve.

Comment se porte la scène toulousaine ?
Ça fourmille de partout, mais c’est le tout début, il n’y a pas encore de territoire de professionnalisation. Pour Des bars de rire, nous faisons venir des artistes identifiés dans le milieu du stand-up parisien qui ont au moins une demi-heure de spectacle. Tout en permettant à des locaux de se roder en première partie. Par rapport à d’autres villes, dont bien sûr Paris où tout se passe encore, Toulouse est en retard en terme de culture stand-up.