LA CULTURE ET L’EAU : courants d’art
À l’occasion des commémorations des 150 ans de la crue historique de la Garonne en 1875, et à l’approche de tous ces événements en plein air qui nous attendent cet été, jamais trop loin d’une rivière ou d’un lac, Clutch explore les rapports entre la culture et l’eau dans la région. Autant le dire de suite : ils sont charnels.
| Nicolas Mathé
« Que d’eau, que d’eau ! ». Visiblement pas dans un grand jour en terme d’inspiration, le président de la République Mac Mahon était peut-être simplement sidéré par le paysage de désolation qui se présentait sous ses yeux ce jour-là à Toulouse. Une ville dévastée par la crue la plus importante qu’ait connue la Garonne (encore à ce jour) : 1 200 maisons détruites, 3 ponts emportés, le quartier Saint-Cyprien noyé sous 3 mètres d’eau, plus de 200 victimes… La tirade est en tout cas restée dans les annales et elle revient forcément en mémoire à l’occasion des 150 ans de cette historique crue du mois de juin 1875. Pour commémorer l’événement, la ville a notamment misé sur un lieu symbolique : le pont Saint-Pierre. En effet, cette année, la fresque artistique qui accompagne la piétonnisation estivale de l’édifice, confiée à la designer et scénographe Valentine Gadeau, représente… un fleuve. Elle s’accompagne d’une exposition présentant des archives sur la crue ainsi que de jeux pour rappeler les comportements à adopter en cas de débordement.
Si l’eau peut s’avérer aussi cruelle, c’est qu’elle est source de vie
CULTURE AU BORD DE L’EAU
Abondance colérique, mais aussi manque, à travers des épisodes de sécheresse de plus en plus récurrents… Si l’eau peut s’avérer aussi cruelle, c’est qu’elle est source de vie. Aujourd’hui encore, de nombreux lieux et événements culturels perpétuent inconsciemment ce besoin qui a poussé l’Homme a s’installer au bord de l’eau. C’est simple, à Toulouse, les institutions parmi les plus emblématiques s’y trouvent. Depuis 30 ans, le festival Rio Loco, notamment, profite d’un site exceptionnel sur les berges de la Garonne. Le Bikini, lui, suite à l’explosion d’AZF, a quitté les bords du fleuve pour ceux du Canal du Midi, du côté de Ramonville. Assimilant l’eau à l’aspect populaire, le patron, Hervé Sansonnetto, a même longtemps rêvé de créer une guinguette du côté de l’écluse Saint-Michel, en plein cœur de Toulouse : « Ça ne se fera jamais mais j’imaginais un lieu ouvert à tout le monde, loin du luxe, des VIP et de toutes ces conneries où on se retrouve pour bouffer et danser. Le Bikini d’avant était une ancienne guinguette qui s’appelait le Moulin Rouge. D’ailleurs, je l’ai toujours considéré comme une guinguette moderne, on remplaçait le musette par du hardcore ». Ces dernières années, le terme guinguette a beau avoir fait un impressionnant retour en force, rare sont les établissements à respecter le « cahier des charges » historique. Celui de l’époque où les établissements ont émergé sur les bords de Marne pour bénéficier à moindre frais du vin destiné à Paris, avant l’octroi. Gérée par une association depuis plus de 10 ans, l’Ephémère Guinguette, qui s’installe chaque année à Lacroix-Falgarde, à la confluence de la Garonne et de l’Ariège, est assurément une des plus authentiques. Tous les étés, les différentes générations s’y rassemblent sous les lampions pour manger, à la bonne franquette, et danser devant de véritables concerts. Sinon, pour de la culture les pieds dans l’eau, on peut aussi se rendre au lac de la Reynerie. Cette année encore, concerts, spectacles et projections en plein air y sont proposés dans le cadre d’Un été au bord du lac.
EAU, ART ET PATRIMOINE
L’eau et la culture indissociables ? C’est aussi ce que rappellent ces incontournables bâtiments patrimoniaux de la Ville rose. En premier lieu le Château d’eau, symbolique tour de 30 mètres de haut au pied du Pont-Neuf. Un ouvrage qui ne servait pas à stocker mais à distribuer dans le centre ville l’eau de la Garonne, captée et filtrée à quelques mètres de là sur la Prairie des Filtres. En 1974, le célèbre Jean Dieuzaide eut l’excellente idée d’y créer ni plus ni moins que la première galerie publique en France dédiée à la photographie. Actuellement en travaux, le Château d’Eau a accueilli en 50 ans nombre de photographes internationaux, majeurs ou émergents. On le sait moins, mais à quelques encablures à peine de là, en descendant la Garonne, le forcément bien nommé théâtre Garonne est lui aussi installé dans un site industriel fluvial. Une ancienne station de pompage que tous les comédiens passés sur ces planches depuis 1988 font revivre à leur manière. La visite aqua-culturelle se poursuit rive droite cette fois avec un autre lieu insolite : l’Espace EDF Bazacle. En fonctionnement depuis 1888, la centrale hydraulique propose aujourd’hui un circuit de visite hybride avec des expositions permanentes autour des énergies mais aussi son étonnante passe à poisson et son hublot d’observation ainsi que des événements culturels temporaires majeurs, comme l’exposition immersive sur Monet, présentée cet été à partir du 3 juillet. Direction enfin les hauteurs de la ville où le château d’eau de Pouvourville, à l’observatoire de Pech David, va, lui, se transformer en œuvre d’art géante à travers une fresque réalisée par les muralistes WOIZO et Opéra. Une initiative menée par Eau de Toulouse Métropole en vue du passage du Tour de France à Toulouse cet été.

SOURCE D’INSPIRATION
L’eau fascine, c’est une évidence. Et ce ne sont pas tous les artistes choisis dans le cadre du parcours Horizons d’eaux qui diront le contraire. Chaque année, ce dispositif propose aux habitants ou simples passants de découvrir des œuvres contemporaines le long du Canal du Midi. C’est dans ce contexte que le musée des Abattoirs avait présenté il y a un plus d’un an l’exposition « Odyssée ». Une exploration de nos liens avec le précieux élément à travers des œuvres contemporaines provenant de la collection des Abattoirs ou d’artistes ayant travaillé avec l’institution. Afin de récolter des fonds pour la replantation d’arbres sur le Canal du Midi, la mission mécénat des Voies navigables de France (VNF) organisait également en juin dernier une vente aux enchères. Sa spécificité : les œuvres proposées à la vente avaient pour thème l’incroyable ouvrage de Pierre-Paul Riquet. Comme les photographies de Juliette Agnel, dont certaines inédites réalisées lors d’une résidence sur le Canal du Midi. Ou les peintures de Thomas Berthuel-Bonnes, natif de Toulouse aujourd’hui installé au Pays-Basque. Pour l’exposition « !MiDi! », présentée l’an dernier à la cale du Radoub, ce dernier avait conçu une série de 12 œuvres abstraites capturant les couleurs changeantes de l’eau du canal.
Des pianos flottants au cœur de tournées insolites et poétiques dans toutes les eaux de France
SPECTACLES SUR L’EAU
Quand la culture prend l’eau, cela peut être très beau. Parfois il arrive en effet que le spectacle soit carrément flottant. On peut citer le cas des musiciens un peu agités du bocal de la fanfare aquatique Scratchwaters, basée dans le Tarn-et-Garonne. Armés de combinaisons, de saxophone, trombone, trompette, calebasse et autres instruments, les cinq compères n’ont besoin que d’une piscine, d’une rivière, d’un lac ou d’une fontaine pour 1h de concert acoustique seulement amplifié par la joie d’être dans l’eau. D’autres hurluberlus, fédérés sous la bannière du PianO du lac, ont, eux, carrément imaginé toute une gamme de pianos flottants (pianO bulle, catapianO, pianO à fleur d’O, pédal’O pianO…) au cœur de tournées insolites et poétiques dans toutes les eaux de France. Ainsi en juin dernier, le spectacle Marinero – histoire d’un piano à la dérive et d’un naufragé qui ne sait plus trop qui il est – s’est posé à différents endroits sur le Canal du Midi ainsi que sur les lacs de Saint-Ferréol et de Sainte-Croix-Volvestre. Enfin, quand on évoque le Canal du Midi, on ne peut pas oublier le festival itinérant le plus lent du monde, Convivencia, avec ses odyssées ponctuées de concerts donnés depuis le pont d’une péniche. Autant de fêtes populaires et ouvertes sur le monde dont les organisateurs revendiquent clairement l’esprit guinguette. Le cycle de l’eau est bouclé !