SÉCURITÉ AU TRAVAIL :
l’art du risque

[AFFICHE, GRAPHISME] Matou | jusqu’au 30 août | MATOU.Musee

Début mars, le Musée de l’Affiche de Toulouse dévoilait sa nouvelle grande exposition. Délaissant l’art publicitaire qui a fait la renommée du Matou, « Sécurité au travail » présente un ensemble d’affiches traversant les époques pour retracer l’histoire de la protection des travailleurs. Moins de deux semaines plus tard, les lieux culturels mais aussi nombre d’entreprises fermaient pour cause de confinement, et de nouvelles règles de prévention faisaient leur apparition.
Ça doit être le karma.

| Baptiste Ostré

Boutique entièrement désinfectée, espace d’exposition repensé (notamment par la suppression de bancs), gel hydro-alcoolique à la disposition du visiteur, à qui il est fortement recommandé de porter un masque avant d’entrer dans la salle… Comme tous les lieux qui ont repris une activité avec le déconfinement, le Musée de l’Affiche de Toulouse s’est adapté aux contraintes du coronavirus, depuis sa réouverture le 2 juin. Le but étant autant de protéger le public que de garantir la sécurité de ses équipes. Coïncidence, c’est justement tout le sujet de la grande exposition du Matou cette année. Intitulée « Sécurité au travail », celle-ci prend une toute autre dimension depuis que le Covid19 circule dans les open spaces. Impossible ainsi de ne pas être interloqué par cette drôle d’affiche détournant le mythe de Guillaume Tell : la pomme transpercée par une flèche y est posée sur un personnage… abrité sous une lourde armure de chevalier, déclamant dans une bulle « Se protéger n’est pas ridicule ». Une image qu’on collerait bien aujourd’hui sous le nez de tous ceux qui voudraient renouer avec la traditionnelle bise amicale, ou qui se moqueraient de notre manie à garder notre masque alors que l’épidémie est en net recul chez nous.

Réalisée en 1978, elle est l’œuvre de Bernard Chadebec, véritable trouvaille de cette exposition, affichiste qui aura consacré son art au monde des travailleurs et à leur sécurité. Redécouvert une première fois en 2012 grâce au livre Trésors de l’INRS paru chez Les Requins Marteaux, il marie le minimalisme esthétique et les couleurs vives à un sens de l’humour souvent noir – et diablement efficace. Une approche qui inspire toujours : à l’invitation du Matou, les bédéastes, plasticiens et graphistes Fred Felder & Cizo ont ainsi travaillé sur une installation poussant le style de l’affichiste jusqu’à l’absurde.

L’affiche suit les bouleversements socio-industriels

HISTOIRE SOCIALE
Mais l’humour n’a pas toujours été au service de la prévention. Découpée en quatre axes, « Sécurité au travail » retrace ainsi en filigrane l’histoire et les luttes sociales du salariat. Messages volontiers angoissants et culpabilisant (envers les travailleurs, ça va de soi) de l’époque des mines, avec des objets prêtés par le Musée-Mine de Carmaux (81), situé sur un ancien site industriel ; l’apogée du temps des usines se focalise sur la mise en garde du danger que représente la manipulation des machines ; le rail est plus concerné par les mesures spécifiques du métier de cheminot ; l’époque moderne brasse des thèmes de sécurité plus généraux. Des particularités et évolutions qui se déclinent aussi en termes graphiques. Le sombre réalisme, mettant l’accent sur les meurtriers accidents du travail, fait place à des influences pop à partir de la seconde moitié du 20e siècle, filant plus facilement la métaphore visuelle pour départager les responsabilités entre salariés et patronat.

L’affiche suit les bouleversements socio-industriels de son temps, délaissant au fil des décennies la peur et les thèmes sécuritaires pour une approche plus protectrice des questions de santé au travail. Des sujets revenus au-devant de la scène avec la crise sanitaire, les pancartes et autres kits d’information et de communication sur ce thème fleurissant désormais où que l’on aille, des commerces aux lieux culturels, des hangars de la grande distribution aux bureaux partagés des start-up. Une future source d’inspiration artistique ?

Photos : Sécurité au Travail © Musée de l’Affiche de Toulouse

UN LIVRE-OBJET UNIQUE
L’exposition du Matou permet aussi de découvrir un livre-objet produit en un seul exemplaire par l’Atelier TA. Réunissant les talents de la dessinatrice Amandine Lancelot, du plasticien Stéphane Castet, du photographe Benoît Lusière et du graphiste et « peintre en lettre » Thomas Deudé (par ailleurs, artiste du Clutch #10 !), A L’Abri est une étonnante expérience de lecture multi-artistique, explorant l’idée d’abri comme premier rempart au danger. Gimme shelter ?