EO :
le cinéma à fleur de peau d’âne

Venue du fin fond de la Pologne, la claque ciné de 2022 se résume en deux lettres : EO. Traduction : « Hi-han ». Retour sur le chef d’œuvre de Jerzy Skolimowski et son ébouriffant équidé.

| Texte : Mathieu Laforgue, Photo : Arp Sélection

Il suffit parfois d’un peu de bouche à oreille pour qu’un film représente à lui seul tout ce que l’expression « expérience de cinéma » peut laisser entendre. Tout a ainsi débuté un matin quand, à six heures six, je fus tiré du lit par l’emmerdeur de service (mon fils). Du coup, une fois le bibi enquillé et l’activité lancée, en bon pater familias, direction le Net. Et là, en Une du Journal Intime avec un grand F bleu de Manu, mon cinéphile préféré du Bassin d’Arcachon, cette citation : « les mots me manquent pour décrire EO. Dans une vie de cinéphile, je n’ai pas le souvenir d’un film qui rend hommage au vivant et au monde animal. Du cinéma sensoriel, merveilleux pour les yeux mais douloureux pour le cœur. Un immense film qui fera date ». Trois jours plus tard, même rengaine et c’est cette fois Yzy, collègue de promo, qui publie : « il y aura un avant et un après EO ».

OK, compris, une séance s’impose. Passée la difficulté de trouver une salle le projetant (bien plus simple d’aller laver son cerveau à la lessive Marvel) et malgré les recommandations du style « accroche-toi », le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu du voyage. Une merveille, pas d’autre mot. C’est simple, tout est complètement fou dans ce film qui, pour rappel, suit le parcours chaotique d’un… âne au fin fond de l’Europe de l’Est.

Un long-métrage polonais qui voit le monde à travers les yeux du cousin du cheval, sponsorisé par France Inter et Télérama, ça fleurait bon la Palme d’Or à Cannes, en vain. Au final, EO remportera le Prix du Jury, et comme on le comprend !

Skolimowski détruit les codes habituels, incrustant son spectateur dans les méandres de son siège

D’une photo exceptionnelle à une bande originale étourdissante, on est absolument captivé une heure et demi durant. Avec une réalisation détonante jouant sur les styles artistiques – en témoignent les inoubliables et étourdissants passages stroboscopiques sur fond rouge -, le vétéran Skolimowski détruit les codes habituels, incrustant son spectateur dans les méandres de son siège.

On reste abasourdi devant le travail réalisé par ce bon vieux Jerzy, 85 barreaux au compteur, avec son personnage central à la palette émotionnelle bien plus garnie que celle de Nicolas Duvauchelle : six ânes qui se succèdent tour à tour dans le rôle de EO. Car oui, si Patrick méritait un César pour son interprétation dans Antoinette dans les Cévennes, Tako, Hola, Marietta, Ettore, Rocco et Mela devraient quant à eux prétendre à l’Oscar des meilleurs acteurs de l’année.

Bref, un passage à la machine émotionnelle dont on ressort totalement rincé. Une fable sombre mais non teintée d’une certaine poésie qui, pour reprendre ce qui a précédemment été dit, « fera date » dans l’histoire du 7e art. Pas moins.


Merci les copains pour la recommandation, et big up à Laeti de l’autre côté de la Garonne et Finhia sur le caillou réunionnais, derniers membres de mon « Cercle » de critiques triés aux petits oignons sur le volet pour leurs conseils cinématographiques avisés depuis belle lurette.

Bonus
La bande annonce énigmatique du film avec dedans une musique envoûtante, des équidés herbivores, une éolienne rouge et un arbre qui tombe.