AIR : Pompe fiction

Comédie consacrée à l’épopée d’une basket légendaire, Air sautille entre success story marketing et critique de la culture pub. En toute décontraction, le nouveau film de Ben Affleck s’amuse de ce postulat qui avait tout de l’exercice d’écriture casse-gueule.

| Texte : Baptiste Ostré, Photos : Amazon Prime Video

Ascension, chute, résurrection. Air résume en avance ultra-rapide les trois actes indispensables de tout biopic à Oscar qui se respecte. Montée comme un petit film d’action, cette séquence éclair récapitule la future carrière de Michael Jordan et l’empreinte taille XXL qu’il laissera sur la pop culture mondiale. En dehors de ce court moment de gloire, la bientôt superstar des parquets est tout juste une silhouette tournant le dos. Quand elle n’est pas carrément reléguée hors-champ, délibérément laissée dans l’ombre au profit de Nike, outsider des équipementiers face aux champions Adidas et Converse, cherchant le coup de pub qui pliera le game.

Réunissant autour de Matt Damon, Chris Tucker, Jason Bateman ou Viola Davis, c’est sur cette équipe du marketing sportif que reposent les effets comiques du film. Conçus comme de véritables jeux de passe, les dialogues du scénariste Alex Converey ne sont jamais très loin de la vélocité screwball d’un Aaron Sorkin. Ben Affleck évite toutefois de singer le tempo mitraillette d’un Social Network ou le sérieux du Stratège, tous deux scénarisés par Sorkin.

S’offrant au passage un second rôle de pdg mi-arrogant mi-bouffon, lointain descendant du déjà bien lourd Pierre d’Alençon dans Le Dernier Duel (qu’il avait co-scénarisé avec Damon), l’acteur-réalisateur imprime à chacune de ses apparitions l’esprit glandeur directement hérité des comédies slackers des années 90 – on n’aurait pas été étonné de voir Kevin Smith et son maillot de hockey passer une tête en arrière plan.

POMPE A FRIC
Toujours à deux doigts de basculer dans la farce, c’est ce personnage qui procure à Air le recul nécessaire pour éviter à la fois le cynisme triomphal du pur produit capitaliste et la critique faux-cul de ce même esprit « winner », spécialité des années 80. Manière de ne pas se prendre trop au sérieux tout en jouant le jeu : en appui sur les acquis de la reconstitution d’Argo, la mise en scène, sous ses dehors classiques (académiques diront certains) déploie de discrètes subtilités.

Dès l’intro, sur les notes du fédérateur « Money for nothing » de Dire Straits, Air ressuscite l’ère MTV, la Game Boy, le Rubik’s Cube et autres mascottes d’une décennie qui n’en finit pas de revivre. Hommages nostalgiques par ci, cultes vintages par là, déférence rétro ailleurs : un fétichisme pop ici contrebalancé par une photographie volontairement terne. Comme une vieille bande VHS délavée, ce générique prend des airs de film d’entreprise cafardeux, façon Cotorep.

Un rappel que la décennie de totems pop – quasi divinisés aujourd’hui – était aussi le gras empire du mauvais goût et d’une culture de boîte franchement déprimante (The Office n’est parfois pas loin). Air agit ainsi en miroir avec nombre de fantasmes du monde actuel – start up nation, suis-mon regard. C’est peut-être là que se situe son véritable sujet : tout ce qu’on imagine des années 80 n’est qu’une invention marketing.