[ÉTAT DES LIEUX]
Végétalisation de Toulouse :
une seconde nature pour la ville

Et si pour pouvoir véritablement penser la végétalisation de la ville, il fallait d’abord réaliser que la nature, même sauvage, est déjà là, sous nos yeux au quotidien, au cœur de l’espace urbain ? Aussi omniprésente que fragile.

| Nicolas Mathé

Bien sûr, les années que nous venons de vivre marquées par des confinements n’ont fait qu’accroître le besoin d’accès à la nature des citadins. Mais tordons d’emblée le cou à l’idée encore trop souvent exprimée que cette demande pressante émanerait de bobos urbains déconnectés des réalités qui n’auraient qu’à se barrer à la campagne « s’ils en veulent du vert ! ». Dans des métropoles qui ne cessent de se densifier avec ce que cela implique en termes de concentration des pollutions, d’imperméabilisation des sols ou de phénomènes d’ilôts de chaleurs, la végétalisation des villes n’est pas un simple caprice mais un véritable enjeu de société. D’autant que la nature ne nous rend pas uniquement des services de régulation du climat ou des inondations, elle joue également de nombreux rôles primordiaux que ce soit au niveau culturel, récréatif ou même de production via l’agriculture urbaine.

LA VIE SAUVAGE EN VILLE

En réalité, il faudrait même arrêter de parler de retour de la nature en ville puisqu’elle n’y a jamais totalement disparue. Contrairement aux apparences, le lien a toujours continué d’exister et les deux sont loin d’être incompatibles. Pour le comprendre, il faut par exemple s’intéresser au concept de Trame verte et bleue (TVB). Officialisé par le Grenelle de l’environnement en 2007, il désigne les connexions reliant les différents milieux naturels d’un territoire et permettant à la flore et à la faune de circuler librement pour assurer leur cycle de vie. « C’est une notion qui a été introduite pour repenser l’urbanisation. Avant, dans les Schémas d’organisations territoriales, figuraient les zones construites et le reste était blanc. On projetait l’aménagement urbain comme s’il n’y avait rien autour. Aujourd’hui, la logique a changé, on est censés partir d’abord de l’existant », explique Aurélie Nars, directrice adjointe de Nature Midi-Pyrénées. Pour sensibiliser collectivités et grand public à l’importance de ces continuités écologiques, l’association organise régulièrement des visites de la Trame verte et bleue de Toulouse et de la métropole. Des promenades qui passent bien sûr par les bords de Garonne, des îles du pont-Saint-Michel et du Ramier jusqu’au ripisylve (succession d’arbres, d’arbustes et d’herbacées) d’Empalot à la découverte d’espèces remarquables animales, comme le desman des Pyrénées, et végétales, telles l’œnanthe de Foucaud ou l’angélique des estuaires. Elles mènent ensuite à la zone de confluence entre la Garonne et l’Ariège, classée réserve régionale naturelle, mais aussi aux côteaux de Pech David où se côtoient pelouses sèches, herbes hautes, petits bosquets et haies, ou encore à l’arc forestier constitué par la forêt de Bouconne. « En ville, la nature est en permanence autour de nous, nous avons juste perdu l’habitude de l’observer », souligne Aurélie Nars.

LA VIE SAUVAGE EN VILLE

« Moins de pesticides, pas de prédateurs et toute la diversité alimentaire qu’il faut, la nature sauvage s’éclate particulièrement dans l’espace urbain. Nous, citadins, ne sommes pas tous seuls », appuie de son côté Aurélien Caillaux. Membre de l’association Voix de traverse, ce dernier est le coauteur avec Lucie Combes du formidable et poétique projet Espace d’espèces qui consiste à mettre gratuitement à disposition des auditeurs dix documentaires sonores sur les espèces sauvages qui habitent la Ville rose. Fruits d’un an de recherches, menées en collaboration avec l’association Nature en Occitanie et le Museum de Toulouse, ces capsules audio d’une dizaine de minutes ont fait l’objet d’un véritable travail de création artistique avec une atmosphère particulière pour plonger les auditeurs en immersion. « Il nous a semblé que l’intérêt grandissant pour la nature n’était pas vraiment incarné. Nous avons donc choisi 10 espèces ( insectes, mammifères, oiseaux, végétaux, milieux naturels…), pour raconter leurs histoires, leurs mutations, le rapport que nous entretenons avec elles. Et à travers tout cela, interroger la gestion écologique de la ville », raconte Aurélien Caillaux. Mais la grande originalité du projet, c’est que chacune correspond à un lieu précis de Toulouse. S’ils peuvent les écouter de chez eux, les auditeurs ont ainsi la possibilité de le faire directement sur place avec, en plus, des conseils sur la meilleure position ou le meilleur contexte. Il est par exemple préférable d’attendre le printemps, pour écouter l’histoire sur les hirondelles qui font leurs nids, quai de Tounis. De même, pour espérer observer des perruches à collier, c’est de nuit qu’il faut se rendre aux abords du métro Jeanne d’Arc. Quant aux plantes de rue et autres herbes folles, les initiateurs du projet conseillent un grand mur végétalisé près de l’hôpital La Grave. Si celles-ci n’ont pas été piétinées ou arrachées.


Des projets sans cohérence territoriale qui nous étouffent et font disparaître nos ressources vitales

PEINTURE VERTE & MOBILISATION

Pour autant, prendre conscience de cette Trame verte et bleue n’empêche pas de constater que le tableau est loin d’être rose. Bien que présente, la nature en ville s’est vu contrainte dans des espaces à la marge ou particulièrement encadrés. De même, les dernières décennies d’étalement urbain et d’artificialisation des sols ont repoussé toujours plus loin les espaces de verdure, générant au passage des inégalités d’accès. Enfin, abondance de plantes et d’animaux ne sont pas forcément signes d’une riche biodiversité. Les spécialistes constatent au contraire un manque de diversité qui rendent cet écosystème particulièrement fragile et menacé. Pour le solidifier, les initiatives associatives fleurissent depuis de nombreuses années déjà : jardins partagés, forêts et fermes urbaines, récupération des eaux pluviales, insectes pollinisateurs, ilôts de fraîcheurs, plantation sur les toitures, les terrasses et les façades des bâtiments… Les municipalités et les promoteurs immobiliers, eux aussi, se mettent au vert via des murs végétaux, des squares ou encore des plates bandes de sedum (plante très vivace). À Toulouse, la mairie promet la plantation de 100 000 arbres d’ici 2030, prépare le grand parc du Ramier, futur poumon vert de la ville, évoque la végétalisation des cours d’écoles et, plus hypothétiquement, celle de la place du Capitole, expérimente une canopée urbaine à Saint-Cyprien (avec un succès mitigé jusqu’ici)… Greenwashing rétorquent en bloc les associations environnementales ! Pour ces dernières, derrière une communication repeinte en vert et malgré des projets parfois louables, les collectivités publiques locales n’ont pas encore changé de logiciel et poursuivent le même modèle de développement qu’il y a 30 ans. Durant tout le mois de mars, une trentaine d’entre elles (Alternatiba, Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace, ANV Cop 21, Dernière Rénovation, Extinction Rebellion…) ont uni leurs forces au sein de l’événement CliMars Attaque. Une série d’actions pour mettre en lumière les projets inutiles et écocidaires et demander aux élus de prendre de réels engagements. Routes, (BUO, BUCSM…), échangeurs (Jonction Est), ZAC, nouveaux lotissements, démolitions de quartiers, expropriations, voire autoroute (cf. Zone libre, page 8 du Clutch #108)… Une carte interactive a été élaborée pour recenser ces nombreux projets à Toulouse et dans les environs, symboles d’un double discours de plus en plus difficile à tenir. « Des projets sans cohérence territoriale qui nous étouffent et font disparaître nos ressources vitales », avancent les associations. Végétaliser c’est bien, mais il serait peut-être enfin temps d’arrêter de détruire et de laisser tomber le béton au profit du vivant.