MONSIEUR GRANDIN :
Portrait Robot

[ALBUM, ELECTRO] The Defeaning Silence of Android Dreams | sortie le 14 sept. | monsieur-grandin.com

Repoussé de juin à septembre pour cause de coronavirus, le quatrième album de Monsieur Grandin affirme son tournant électronique, sans renoncer à une dimension cinématographique qui fonde l’identité du Toulousain. The Defeaning Silence of Android Dreams s’intéresse à l’intelligence artificielle en rendant hommage à tout un pan de la science-fiction et de l’anticipation. Clutch passe Mr. Grandin au test Voight-Kampff.

| Propos recueillis par Baptiste Ostré

Ce quatrième album est le fruit de ta rencontre avec le photographe de mode Louis Piquemil.
Quel a été le point de départ de votre collaboration ?
J’ai rencontré Louis Piquemil par l’intermédiaire d’amis qui connaissaient bien mon travail et, particulièrement, mon rapport au son et à l’image. Ils m’ont montré le travail de Louis. C’était une série de photos qui n’avaient aucun rapport avec des photos de mode. Elles étaient plutôt cinématographiques, de par la lumière et la mise en scène.

En général, je pars d’une idée de scénario, d’un film hypothétique. Quelques débuts de morceaux émergent, mais la vraie composition commence concrètement quand la « cover » de l’album est réalisée.

J’ai rencontré Louis pour la première fois il y a environ 3 ans, nous avons pas mal discuté de l’univers autour duquel je souhaitais travailler, nous nous sommes revus plusieurs fois et j’ai fini par lui donner l’ébauche d’un morceau comme point de départ. Puis, il a fait cette incroyable photo pour la cover de l’album. Une fois celle-ci entre mes mains, le travail sur le disque a clairement commencé.

Le titre rend hommage au roman de Philip K.Dick qui a servi de base pour Blade Runner
The Deafening Silence Of Android Dreams a de nombreuses sources d’inspiration, mais il est vrai qu’il rend clairement hommage à ce roman et au film, non seulement dans la référence visuelle, mais aussi particulièrement dans le son, avec beaucoup de synthétiseurs analogiques qui ont été utilisés pour retrouver cette « patte » qu’il y a dans beaucoup de films de SF des années 70 / 80, notamment le fabuleux « Up and running » de  Vangelis pour Blade Runner.

L’idée de fond est de faire, comme pour tous mes albums, une B.O. d’un film qui n’existe pas. Du coup, je me suis inspiré de ce que je pense être des références incontournables de la SF, qui traitent de robot, cyborg et d’intelligence artificielle, de 1920 à 1990, et qui ont nourri mon imaginaire depuis que je suis gamin.

Donc forcément des films comme Blade Runner, Metropolis, 2001, Alien, Short Circuit, Robocop, Terminator, Mondwest, Matrix… mais aussi la littérature avec Nous les robots d’Isaac Asimov, les Mangas et les animés avec en tête de liste Ghost in Shell, et cette immense B.O. écrite par Kenji Kawai… Et évidemment les jeux video, comme Final Fantasy.

Bref, la liste pourrait être très, trop, longue mais, ce qui est certain, c’est que je me suis très largement inspiré de tout cela pour la composition. Chaque morceau a au minimum deux clins d’oeil à une de ces œuvres. Certaines sont plus évidentes que d’autres, comme dans « IMoSAH » ou l’on reconnait volontairement une phrase de Blade Runner. Pour le reste de l’album, c’est beaucoup plus subtil. 

Tu as cité Ghost in The Shell. Le premier clip de l’album, réalisé par Louis Piquemil il me semble, me fait justement penser à l’ouverture du film de Mamoru Oshii…
Sur ce clip, Louis à été libre de son interprétation sur le sujet, mais il me semble, quand même, avoir été plutôt insistant sur Ghost in the Shell, donc j’imagine que cela a joué ! Dans tous les cas, Ghost in the Shell est une des  références principales de l’album, car il traite en fond des quatre points qui m’interrogent sur ce sujet : Qu’est ce qui distingue l’être humain d’un robot pensant, ayant conscience de son existence ? Qu’est ce qui fait la spécificité de la pensée humaine ? Que peut-on considérer comme « être vivant » ? Où se situe la frontière entre le corps et l’esprit ?


Le concept de bande originale de film me semble poussé encore plus loin que sur tes précédents albums. Est-ce que le disque a été conçu comme un seul récit ou plutôt comme une anthologie autour d’un même thème ?
Je ne sais pas si le concept est plus poussé que sur les autres albums. Le point de départ est un hypothétique film avec un scénario qui s’écrit au fur et à mesure de la composition. Il est certain que celui-ci m’a pris beaucoup plus de temps. J’avais plus de trente ébauches de morceaux pour en garder finalement que dix !

Quand a la progression des morceaux, j’éprouve une certaine fierté quand les gens écoutent un de mes disques et y trouvent une cohérence, car c’est une étape qui me prend énormément de temps. Je ne suis pas adepte du « single », j’aime le concept d’album, que chaque morceau fasse partie d’un ensemble.

Mais ce qui est encore plus important, c’est que la musique doit impérativement évoquer des images et encore plus une histoire. A ce propos j’adore quand des personnes me racontent leurs interprétations, c’est génial, car ils racontent souvent autre chose, que je n’avais pas envisagé.

C’est dans ces moments précis, que je pense avoir réussi, car l’auditeur s’est emparé du morceau, ou même de l’album, et a réécrit sa propre interprétation. C’est pour cette raison que c’est une anthologie autour d’un même thème et non un récit.

Je suis un « Sound-Hunter ». Certains font des photos, moi, je fais des empreintes sonores des endroits où je vais…

À l’époque de The Shadow of plastic tree, tu disais vouloir délaisser le trip-hop pour revenir un peu plus à la bass music. TDSOAD sonne effectivement beaucoup plus lourd, mais on y trouve aussi des influences de jazz et même de classique…
La question n’était pas forcément de laisser le trip-hop de coté mais, honnêtement, je n’ai jamais eu la sensation de faire ce style de musique. Je pense d’ailleurs que c’est devenu à un moment un terme fourre-tout pour des musiques hip-hop-electro-filmiques. Pour moi, le trip-hop, c’est Massive Attack, Portishead etc… J’adore ces groupes. Ils font partie intégrante de ma culture musicale, mais je ne reconnais pas trop ma musique dans ce style… Mais ne me demande pas dans quel style on doit classer mes albums, car je n’en sais rien moi même !

L’identité sonore est dans le choix des sons, car je voulais absolument mettre en opposition des sons organiques  et de la matière ultra électronique. Je suis ce qu’on appelle un « Sound-Hunter », certains font des photos, moi, je fais des empreintes sonores de quasiment tous les endroits où je vais. Cette matière sonore me sert de base sur tous les morceaux du disque, je m’en sers pour fabriquer des instruments. Sur ce point le concept est simple, il faut imaginer regarder un son au microscope en prendre une toute petite partie, en faire une boucle et le transposer sur toutes les notes d’une octave.

Je peux aussi m’en servir comme diverses percussions : un claquement de porte plus un trousseau de clés qui tombent deviennent un snare… Ensuite, j’ai fabriqué des rappeurs virtuels, j’ai enregistré une multitude d’onomatopées de plusieurs enfants et adultes, que j’ai mélangés et trafiqués jusqu’à l’obtention de quelque chose qui s’apparente à un langage.

Sur cet album, le mixage m’a pris énormément de temps, car je voulais garder une grande dynamique et faire en sorte qu’il ne sonne pas forcément comme un album de hip-hop ou d’electro. Ensuite, j’ai essayé de casser un peu les habitudes en bougeant les tempos dans les morceaux pour humaniser le coté synthétique. Pour paraphraser Mingus, « La musique qui n’exprime pas de mouvement à l’intérieur du tempo est une musique militaire  ou une musique de danse ».

Parlons du second clip, « Bending », réalisé avec des étudiants de l’Ispra Toulouse.
Effectivement ce clip, « B E N D I N G », est co-réalisé avec des élèves de l’école Audiovisuelle de L’ISPRA à Toulouse. J’ai la chance de pouvoir faire des projets avec eux car je suis, aussi, prof dans celle-ci.

Les élèves sont formés à la totalité de la production audio-visuelle, de la prise en charge d’un sujet à la diffusion de celui-ci, en passant forcément par l’écriture d’un scénario, le tournage, et toutes les étapes de post-production. Tout cela en ayant accès à un très large choix de matériel pro.

Je voulais que le clip se rapproche le plus possible d’une fiction, j’ai donc écrit les grandes lignes, trouvé les lieux de tournage, et les élèves ont fait le reste. Ils ont été très professionnels et d’une grande écoute, car je voulais un rendu très cinématographique bourré de référence. Le tournage a duré 5 jours et autant pour la post-production… Ce clip m’a permis aussi de rencontrer des personnes exceptionnelles qui ont contribué à la réussite de ce projet, en m’autorisant l’accès à certains lieux un peu privilégiés, le hangar avec les Avions que le propriétaire (Skyvibes ) nous a prêté en nous accordant sa confiance. Le hangar est rempli d’avions et les deux que nous voyons dans le clip sont de véritables avions de collection. 

Et enfin, il y le Robot de 2,50m ! Quand j’ai écrit la note d’intention pour le scénario je voulais un robot ! Trois solutions : le fabriquer (je suis incapable de planter un clou correctement), le faire en 3D ou… trouver un robot. J’ai finalement trouvé Luminight, une jeune société toulousaine qui fabrique des Robots pour de l’événementiel.

Non seulement les robots qu’elle fabrique sont incroyables, mais Mr Touron, le PDG de cette société, a accepté de se prêter au jeu pendant deux jours dans un hangar à 40°C. La réalisation de ce clip à été un moment très privilégié pour moi, car faire un projet personnel avec ses propres élèves, une de mes filles qui joue le rôle principal, et arriver à mettre en image un sujet pareil a été extrêmement excitant et grisant. Je suis très fier de ce clip car il reflète parfaitement le sujet de l’album.

Y’a-t-il déjà d’autres clips prévus ?
Absolument ! Un autre clip à été tourné à Fréjus par une boîte de production qui s’appelle Visual Séquence. A l’heure où nous discutons, le clip n’est pas encore en post-production. Les images que j’ai vues, montrent un travail colossal sur ce clip. Les moyens mis en oeuvre, techniques et humains, pour la réalisation sont clairement impressionnants. J’ai laissé carte blanche au réalisateur Eric Goron qui est aussi un ami et qui m’a fait ce formidable cadeau.

Un concert dans un format et système de diffusion très novateur est en préparation

Un tel univers, ajouté à une collaboration avec un photographe, appelle à une déclinaison sur plusieurs médias, je pense en terme de concert, mais aussi d’exposition… Est-ce quelque chose que tu aimerais (ou pourrais) envisager ?  
Il va forcément y avoir d’autres actualités autour de ce disque. Il va y avoir un petit jeu vidéo, où les joueurs vont affronter une Intelligence Artificielle dans un Pong un peu particulier. Le jeu est développé par un indépendant (IBlacky Studio ).

Mais surtout un concert dans un format et système de diffusion très novateur est en préparation ! Ce projet va solliciter beaucoup de savoir faire et une mise en œuvre très particulière… Donc j’aurai peut être le plaisir d’en reparler avec vous très bientôt !

Pour l’exposition photo, c’était une chose que nous avions évoqué avec Louis, mais cela dépendra de son agenda car faire une exposition autour de ce thème demande pour un photographe beaucoup de travail. C’est forcément quelque chose que j’aimerais faire mais cela ne dépend pas moi…

En parlant de travail, The Defeaning Silence of Android Dreams est autoproduit ?
Cet album est auto-produit à 100%. Je n’ai malheureusement pas eu le soutien précieux d’un label sur cet opus. Je le regrette forcément car c’est très confortable d’avoir des personnes qui s’occupent de la promotion, de contacter les médias, de vendre le concert etc… Mais à ma grande surprise, cela ma permis d’avoir beaucoup d’autres soutiens pour arriver à sortir ce disque.

Un album peut sortir sur toutes les plateformes Itunes, Deezer etc… pour 40 balles, mais pour moi un album doit être sur un support physique. Cd, vinyle ou K7 peu importe, mais il doit exister physiquement, sinon ce n’est qu’un produit dématérialisé sans aucune vie réelle. Il est consommé en shuffle et perdu au milieu d’une playlist et souvent on ne se souvient plus de l’album, voir même de l’artiste.

Au final, je suis très fier que cet album soit sorti grâce au soutien de beaucoup de personnes et je mesure cette chance car il est important de croire à une scène alternative pour faire vivre des formats un peu hors cadre. J’en profite pour remercier d’abord Emily K qui est la violoniste, avec qui je travaille beaucoup d’arrangements sur les morceaux. Elle est une pièce maîtresse des compositions de l’album. Elle apporte beaucoup.

Ensuite il y a les personnes qui ont participé à la campagne de crowndfunding sur Ulule, ce qui a permis le financement du vinyle, des affiches  et de pas mal de frais inhérents à la production d’un support physique. La direction et les élèves de L’ISPRA, Louis Piquemil pour l’inspiration qu’il a insufflé à l’album, Visual Séquence pour le clip à venir, WeloveAero et MadWatch pour leurs aides, ma famille, mes potes qui m’encouragent et Clutch qui depuis le début soutient mon projet. Merci ! Merci !