[CLASSIQUE, ELECTRO] Halle aux Grains | sam. 18 nov. | 20h | 38 et 42 € | regarts.eu

Tu es une sorte de scientifique de la musique. Tu cherches toujours de nouveaux univers musicaux à explorer, quelle est la différence entre tes expérimentations studios et tes expérimentations live ?

Commençons par le live, ça a pris de l’importance ces dernières années. Quand j’ai commencé à faire des concerts en 2007/2008, je voulais déjà faire de ma musique électronique un projet de live, mais je pensais que ce n’était pas une bonne idée parce qu’il n’y avait pas encore de projet comme ça, et je trouvais ça bête de faire seulement du playback en live. Alors, j’ai commencé à jouer du piano en concert, et je faisais de la musique électronique en studio. Je voulais être un performeur sur scène, pas juste faire du playback. Ce n’est pas ce que j’aime en général, je préfère voir des gens jouer des instruments. Il fallait que j’aie une performance à montrer. Depuis, tout est basé autour de ça pour moi. Il ne faut pas que mes concerts soient figés, que je joue exactement ce que j’ai joué la veille. Naturellement, au fil des années, j’ai commencé à jouer sur scène de façon plus similaire à ce que je fais en studio. Mais il y a toujours des différences : quand je joue des concerts, je sais qu’à peu près tout le monde écoute attentivement. Je peux jouer de manière beaucoup plus dynamique que ce que je joue sur un CD. Parce que sur un enregistrement, tu ne sais pas ce que les gens font pendant qu’ils t’écoutent et quand il y a un moment beaucoup plus fort qu’un autre, les gens en général vont baisser le son. Ils ne peuvent pas faire ça en live. La seule chose qu’ils puissent faire en live, c’est boucher leurs oreilles avec leurs doigts s’ils ne veulent pas entendre… Mais ils sont obligés de vivre la performance. Donc je sais que je peux être beaucoup plus dynamique. En enregistrement, je suis plus dans un aspect méditatif, plutôt lent et calme. Le concert va être extrêmement différent de mon dernier album.

Quelles émotions tu cherches dans ta musique ? Et qu’est-ce que tu veux partager avec le public ?

J’aime partager tout ce à quoi je peux penser en tant qu’artiste. Je partage toutes les idées qui me passe par la tête mais j’essaie aussi d’apprendre à me connaître. Au fur et à mesure que je découvre de nouveaux mondes à travers la musique, je découvre de nouveaux mondes en moi-même. Et si je trouve de nouvelles émotions, que ce soit à travers ma propre musique ou à travers celle des autres, je chéris ce moment plus que tout. La musique peut évoquer de très étranges, magnifiques et complexes émotions, qui peuvent être négatives ou positives. Il y a des musiques horribles qui me donnent envie de fuir et vice versa. La musique peut faire les deux. C’est parfois un médicament, et parfois du poison. Bien sûr, je ne veux pas empoisonner mon public et moi-même, alors je veux faire des concerts que les gens trouvent intéressants et qui soient meilleurs que les derniers. Je pense que tous les performeurs veulent être meilleurs chaque année et à chaque fois qu’ils jouent. Donc mes émotions doivent tout produire, dans mes concerts il doit y avoir des moments où les gens me détestent et d’autres où ils m’aiment à nouveau. Les meilleurs concerts, c’est quand tu passes à travers de nombreuses émotions, les interactions avec le public peuvent prendre beaucoup de sens, mais ça peut aussi ne pas fonctionner. Ça ne dépend que de moi car je ne joue pas bien à chaque fois, mais même si je ne fais pas un grand concert, il y a peut-être des gens qui écoutent pour la première fois et qui vont aimer. Ils trouvent le concert bien, parce qu’ils voulaient que ce soit bien. Quand j’ai fini et que je vais dans les loges, je ne sais jamais si c’était un bon concert ou pas, je me suis tellement entendu jouer que c’est dur de juger, mais je suis tellement heureux quand les gens me voient pour la première fois et veulent me revoir après et amener des amis. C’est ça qui est vraiment génial avec le public. Je ne suis pas un musicien pop, je ne veux pas que les gens m’aiment à tout prix. Je fais juste ce que je veux faire musicalement et si les gens aiment ce que je fais, alors, je suis l’homme le plus heureux. Ce n’est pas quelque chose à laquelle tu t’attends, surtout avec la musique expérimentale, qui propage des émotions très complexes, parfois très tristes.

Il y a des concerts dans lesquels tu joues surtout du piano acoustique, d’autres qui sont plus orientés vers la musique électronique. Qu’est-ce qui te fait choisir ? Et quelle est la part d’improvisation dans tes live ?

Parfois je ressens que le piano va bien passer, alors j’en joue plus, parfois, je sens que c’est un public de festival, les gens sont d’humeur pour quelque chose de plus fort, plus rythmique, plus transe. Donc je ne joue pas la même chose le samedi et le lundi. Quand je joue le lundi à la philharmonie, le public est plus sérieux, ça se ressent sur ma musique, si je joue le vendredi dans un club ou tout le monde est bourré à 11h et veut faire la fête, c’est différent aussi. Et j’adore ça. C’est bien d’expérimenter plusieurs mondes et environnements musicaux, et voir ce qui marche bien ou pas. Au final tu apprends toujours tes leçons.

Donc tu adaptes ton show à la salle de concert ?

Pas drastiquement, mais j’ai la liberté d’explorer. De temps en temps, j’ai envie d’ajouter tel ou tel morceau et parfois, je change complètement la set-list. Il n’y a pas longtemps, j’ai enlevé plusieurs morceaux et les ai remplacés par d’autres au dernier moment. C’était excitant. Je ne sais pas si je le referai, mais parfois je commence à m’ennuyer après plusieurs concerts si je joue toujours la même chose. Même si je peux beaucoup improviser, ce n’est pas toujours suffisant donc je change des morceaux entiers. Ça dépend, des fois, je m’en tiens vraiment à un seul set sur plusieurs concerts parce que je veux que ce soit de mieux en mieux, je veux le rendre parfait, le gérer à fond. Et je ressens toujours que je dois améliorer certaines choses, du coup au prochain concert, je veux perfectionner. Ce que je fais est souvent loin de ce que je voudrais réellement faire, donc je prends beaucoup de temps à trouver ce qu’il faudrait faire mieux. Et ça peut prendre un an pour arriver à ce moment où tu te dis « ah, ça y est, je sais ce qu’il faut que je fasse ». Pour moi, c’est une façon de composer. Je peux repenser mes morceaux chaque soir, et a un moment, peut-être, peut-être pas, ça devient une version définitive, et je passe à autre chose. Parce que si je rejouais ce morceau, il pourrait redevenir moins bien… Si tu joues trop de concert au bout d’un moment, tu peux reperdre ça. Ça peut arriver.

As-tu déjà pensé à ton concert à Toulouse à la Halle Aux Grains et à ce que tu vas jouer ?

Non, d’habitude, j’arrive dans un endroit, surtout si je ne suis jamais venu avant, et je vois ce qui se passe, pendant le test du son et à nouveau durant le concert. C’est ça qui est bien quand tu joues seul, c’est que tu peux t’adapter à chaque instant.

Qu’est-ce que tu préfères quand tu expérimentes ? Être surpris ou au contraire trouver exactement ce que tu cherchais ?

Être surpris, c’est le mieux, c’est la chose la plus addictive. Je pense que toutes les choses que je veux faire s’avèrent être moins bien que ce qui arrive par accident. Donc j’ai une idée de ce que je veux faire et, par accident ou pure chance, j’arrive à quelque chose de bien mieux que ce que j’imaginais. Bien sûr, je garde la meilleure option. Et c’est toujours très agréable.

Peu importe ton humeur, la musique est le bon choix quoi qu’il arrive.

Est-ce que tu cherches toujours de nouvelles choses à découvrir ou est-ce que, parfois, tu es satisfait de ce que tu as trouvé ? Es-tu un éternel insatisfait ?

C’est difficile à dire. Sur le moment, quand je découvre quelque chose, je suis très heureux et c’est, pas toujours mais très souvent, un processus très joyeux d’expérimenter, c’est très amusant. Mais bien sûr, je ne suis jamais vraiment heureux de mes morceaux. Si tu me demandes si j’aime mon dernier morceau, je te répondrai que je ne sais pas. Je ne vais pas le réécouter fréquemment et dire que je suis super fier. Je ne suis jamais complètement sûr à la fin si c’est assez bien. Je suis heureux pendant le processus ou dans un concert, si les gens applaudissent et aiment, je suis heureux qu’ils applaudissent mais je ne suis jamais réellement satisfait quand j’ai fini quelque chose. Je pourrais tout de suite pointer des défauts. Et puis je pense que c’est toujours mieux de ne pas être entièrement satisfait de ce que tu fais.

Qu’est-ce qui te pousse quand même à jouer l’imparfait alors ?

Et bien exactement le fait que ce soit imparfait parce que si je le joue encore et encore, je pourrai l’améliorer. Si j’étais vraiment satisfait de ce que j’ai créé, alors peut-être que je devrais arrêter.

Qu’est-ce qui te met dans l’humeur de créer quelque chose ? Quel est le moment parfait pour être créatif ?

La bonne chose avec la musique, c’est que ça marche avec toutes les humeurs. J’ai arrêté de penser qu’il y avait un état d’esprit parfait pour mieux jouer. Je joue le mieux quand j’ai besoin de jouer. Et parfois les bonnes émotions me donnent envie ou besoin de jouer et parfois ce sont les mauvaises émotions. Du coup, la musique peut être vraiment différente à chaque fois. Mais c’est la chose la plus merveilleuse : peu importe ton humeur, la musique est le bon choix quoi qu’il arrive.

Peux-tu me donner ta définition du piano, qu’est-ce qui en fait un instrument si spécial pour toi ?

Le piano a beaucoup de spécificités. Déjà, c’est un gros instrument, plus gros qu’une flûte ou un violon, il faut des professionnels pour le déplacer, c’est une installation. C’est une salle dans une salle, car c’est presque une salle en soi. C’est fort, c’est calme, ça peut être les deux, ça a les notes les plus aiguës et les plus graves possibles et tu peux toutes les jouer en même temps. Avec la pédale, tu peux faire sonner toutes les notes au même moment. C’est comme un orchestre, pas aussi bien certes, mais c’est l’instrument le plus proche d’un orchestre que tu puisses avoir entre tes mains. Si tu es seul et que tu ne veux pas être avec des gens, tu peux quand même avoir un tout un panel de différentes et complexes sonorités… La guitare, c’est très bien aussi, mais c’est juste un petit peu moins spectaculaire. Ça n’a pas des notes aussi grave ou aussi aiguës, ce n’est pas aussi fort, pas aussi dynamique. Tu ne peux pas jouer les accords à la main gauche et la mélodie à la droite, c’est beaucoup plus difficile. Les bons guitaristes jouent de façon incroyable et quand tu les écoutes tu ne veux rien écouter d’autre. Il vaut mieux écouter un bon guitariste jouer qu’un mauvais pianiste comme moi (rire). Je pense que le piano marque aussi un moment spectaculaire dans l’histoire de l’humanité. C’est la manifestation de ce qui est arrivé pendant l’age industriel ou de ce qui allait arriver. C’est comme une usine, mais un peu avant. C’est plein de mécaniques. Ça a pavé la voie de l’ère industrielle, car tout d’un coup tout allait devenir mécanique. C’est tellement moderne pour l’époque… Les gens ne pouvaient pas savoir à quel point c’était le futur quand c’est arrivé, il n’y avait rien de comparable.

Tu as un piano parfait dans ton studio (le Yamaha CFX), ce n’est pas frustrant de jouer sur d’autres ?

Non, je ne dirais pas que c’est un piano parfait, je ne pense pas qu’il y ait un piano parfait. C’est un super piano évidement et je l’adore, mais j’aime d’autres piano aussi. J’ai récemment trouvé un piano que j’adore et qui n’est pas cher du tout. Il était petit, mais il avait un super son. Quand on teste un piano, on ne peut faire confiance qu’à ses émotions, son intuition et à ses oreilles. Parfois, les piano pas chers peuvent être ceux qui valent le plus et vice versa. Tu peux dépenser des centaines de milliers d’euros sur un grand piano qui ne t’inspirera pas. Ou tu peux balancer 500 balles sur un vieux piano et en travaillant dessus, il t’inspirera beaucoup plus.

J’ai l’impression d’être un peu comme un vampire. Je suce le sang des pianos jusqu’à qu’il n’en reste plus et qu’il soit mort et que j’ai besoin d’un nouveau. Il y a des pianistes qui préfèrent jouer sur le même piano toute leur vie. Ils le veulent toujours à leur côté. Ils veulent vieillir avec ce piano. Ils pensent que c’est le piano parfait. Mais pour moi, plus je joue sur des pianos différents, plus je peux expérimenter et imaginer de musiques différentes parce que chaque piano m’inspire différentes mélodies ou différentes clés qui me donnent des idées.


Tu es donc en relation libre avec tes pianos …

Oui je suis en relation ouverte avec mes pianos, je suis un homme moderne ! (rire)